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Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

UnPur, l’intimité recouverte de ténèbres



Isabelle Desesquelles est résolument la maître des histoires dérangeantes, où un sentiment de malaise grandit en vous plus les pages se tournent ! Elle excelle à mêler les mots doucereux aux situations monstrueuses, à nous faire croire à un conte de fées alors que se trame dans l’ombre un film d’horreur… Un roman qui devrait bousculer cette rentrée littéraire !


Même s’ils grandissent sans père, Julien et Benjamin filent le parfait amour avec leur mère. Une mère qui les couvre de douceur, d’empathie et de baisers. Pour elle, ils sont Benjaminquejetaime et Julienquejetaime. Pour eux, ils sont le même cordon, le prolongement des premiers instants, des jumeaux fusionnels. Alors qu’ils partent à Venise goûter au cioccolata con panna et à la dolce vita, la noirceur guette. Puis frappe. Une main se pose sur l’épaule de Benjamin, et le monde se dérobe à lui. Enlevé sous les yeux de ceux qu’il aime, arraché à l’amour maternel et fraternel. Une poupée de chiffon remplacée par la poussière.


Que devient-on lorsqu’on nous saccage ?


Quarante ans plus tard s’ouvre le procès du ravisseur ; Benjamin est bien présent. Sur le banc des accusés. Quel visage prend le monstre quand l’enfance nous est arrachée ? Enfermé pendant tout ce temps dans un quotidien qu’on lui impose, Benjamin survivra plus qu’il ne vivra. Et même si son ravisseur lui fait comprendre qu’il le considère comme son fils adoptif, cela ne change rien. Il lui manque une partie de lui, laissée à Venise.


Isabelle Desesquelles prend appui sur l’atmosphère de son précédent roman, Je voudrais que la nuit me prenne, et la pousse plus loin : l’explosion du cocon doux et rassurant de l’amour maternel. À partir de cette déflagration, Isabelle Desesquelles poursuit cette lumière qui vacille, qui éclaire l’âme humaine puis lui rend subitement toute son obscurité. L’auteure excelle dans la mise en place d’atmosphères d’entre-deux, où la plus pure tendresse se faufile dans les interstices de la plus absolue monstruosité. Elle excelle à se saisir du lecteur dans toute sa compassion, pour lui mettre devant les yeux des situations qu’il ne pouvait pas voir, qu’il n’attendait pas, et ceci dans le plus grand naturel. Mais ce n’est pas un simple roman d’ambiance, c’est un véritable roman à intrigue, où le lecteur, abasourdi, interloqué, cherche à reconstruire le fil de l’histoire et ainsi comprendre pourquoi Benjamin est à cette place au tribunal. Quels sont ses actes. Leurs motivations. C’est un roman qui saisit, choque, interpelle, questionne. C’est une plongée au cœur de l’intime et de ses profondeurs insoupçonnées : celles que l’on ne veut pas voir. L’intimité chez Desesquelles est cet endroit où les sentiments côtoient les ténèbres. Le contraste entre son style très cajoleur et l’atrocité des situations vécues par le narrateur est total et plonge le lecteur dans un trouble lancinant. J’ai plongé tout entier dans la prose d’Isabelle Desesquelles, je me suis empêtré dans cette glu sucrée qui colle au narrateur et quand j’ai voulu m’en défaire, j’étais pris au piège. Impossible de me décoller de la prose de Desesquelles, de ce mélange d’émotions contraires, de noirceur et de sublime, de passé avalé et de destin courbé. Alors devant l’inavouable et l’envoûtement, j’ai plié l’échine. Et je me suis fait ensevelir de lumière.

 

UnPur – 2019

Isabelle Desesquelles

Belfond

224 pages

18 €

ISBN : 978-2714481948

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