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Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

L’Homme surnuméraire, une fiction délétère



Étrange roman que L’Homme surnuméraire de Patrice Jean. Grinçante, caustique, lucide et maligne, cette fiction possède une légèreté que l’on pourrait prendre au premier abord pour de la superficialité tant l’auteur s’amuse avec les échelons de lecture. Le premier d’abord : Serge Le Chenadac, banlieusard moyen, aussi brave que médiocre, invisible aux yeux de ses enfants et encore plus à ceux de sa femme, se regarde dériver chaque jour un peu plus dans les moqueries jusqu’à sombrer dans l’anonymat familial. Abandonné par sa femme et ses enfants comme un chiot sur une aire d’autoroute, Serge Le Chenadac tente de se dépêtrer de cette mélasse qu’est son quotidien, sans relief, en lorgnant de plus en plus vers le fond des abysses. On pourrait alors croire que le propos du livre est posé : une sorte de fiction à la Houellebecq, avec un personnage d’antihéros blanc hétérosexuel, looser et dépassé. Et c’est là qu’intervient le second niveau de lecture, ou plutôt, l’autre échelon narratif : cette histoire-là n’est en réalité qu’un roman qui passe entre les mains d’intellectuels élitistes, et qui va semer la discorde dans le couple Clément-Lise. Une mise en abyme brillante ! Après un parcours dans les grandes écoles, Lise a décroché une place de professeure dans un lycée en classes préparatoires. À cela s’additionnent un statut social et une fortune confortables hérités de sa famille. De son côté, Clément, après avoir terminé une licence en histoire, végète depuis plusieurs mois au chômage. Tout se passe pour le mieux pour ce jeune couple, jusqu’au jour où Lise décide de répondre favorablement à l’invitation d’un ancien ami du lycée, pour une fête en province. Là-bas, le couple fera la connaissance de toute une pléthore d’universitaires et Lise ne manquera pas de s’intégrer à ce cénacle de la bien-pensance. Les voyant autant comme parangons de la condescendance que des rivaux, Clément lui s’en distanciera autant que possible. À l’opposé de leur monde, Clément va commencer par se sentir de plus en plus l’allure… d’un Serge Le Chenadac !


Ce roman de Patrice Jean raille avec élégance et férocité énormément de traits de notre société, et peu de choses échappent à la plume de l’auteur : déconnexion des élites intellectuelles avec la vie réelle, aseptisation de la littérature contemporaine, course à la bien-pensance et à l’élévation sociale, jargon stérile des glossateurs académiques, tout y passe avec habileté ! Car l’auteur ne dresse pas un unique portrait au vitriol, il s’appuie sur énormément de mécanismes différents, utilisant l’influence réciproque des deux niveaux narratifs, pour révéler avec ridicule ces supercheries. Et on se délecte de cette satire et de l’humour potache de Patrice Jean ! À lire absolument si vous en avez marre des romans gentillets.


Un roman où on explose de rire en le lisant, puis ensuite on se rend compte qu’on peut se cacher derrière ces scènes, alors on rigole un peu moins.


 

L’Homme surnuméraire – 2019

Patrice Jean

Motifs

408 p.

9.50 €

ISBN : 979-1095071433

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