C’était lors d’un après-midi dont je n’ai aucun souvenir que j’ai découvert le travail d’Emeli Theander. Peut-être un après-midi de déambulation, une promenade sans but qui m’a amené vers des lieux connus. Ou peut-être est-ce la peinture d’Emeli Theander qui a occulté tout autre souvenir de ce jour. Comme d’épaisses toisons molles qui se déposent sur la mémoire pour voiler toute vision. Comme des portions de rêves qui se séparent qui s’écrasent de tout leur poids sur le réel. Les scènes d’Emeli Theander sont un peu tout cela à la fois : des rêves fracassants et fracassés, des rocs taillés dans un souvenir lointain, mythologique. Des rêves d’ailleurs. Des rêves d’errances dans les replis de soi.
« Nous sommes les pensées arborescentes qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux. »
Robert Desnos, P’OASIS
Sur les murs de blanc tapissés de la Galerie C se déploient des jungles oniriques et vénéneuses. Dans les feuillus luxuriants s’entortillent des créatures mi-humaines mi-animales, provenant des légendes scandinaves. Ces scènes sont un mélange entre le mythe et le merveilleux. Une immense lueur d’aube boréale baigne chaque tableau et lui confère une atmosphère quasi surnaturelle ; c’est un entre-deux, un passage entre l’éveil et l’inconscient.
Ce glacis intemporel n’est pas le seul élément à intimider, voire inquiéter le spectateur. Les personnages des tableaux d’Emeli Theander – que ce soit les humains ou les animaux – ont l’allure de fantasmagorie et surtout, tous semblent nous observer, même de dos. Un lugubre silencieux semble couler dans ces étangs marécageux. Une dualité menaçante se joue sur ces visage, entre douceur chimérique et diabolisme enfantin. « Une tranquillité grave émet des personnages doubles et hybrides : c’est notre fragilité humaine qui se déploie. » Propos de la Galerie C à l’occasion de l’exposition Nous, qui errons dans la nuit.
Les tableaux a priori enchanteurs d’Emeli Theander sont comme le chant des sirènes : un appel à la perdition. Les fleurs y sont nocives, les couleurs toxiques et blessures mortelles. Ces forêts irréelles ouvrent un trou béant en nous et laissent s’y engouffrer toutes les flétrissures nostalgiques. Les fruits s’y font alors larves des psychoses, les plantes poison doucereux.
« Alors délassez vos chaussures et laissez vos pieds pénétrer la boue d’argent de ce poumon florissant. Allez, dansez dans les oasis de vos larmes. Retournez à vos instincts les plus purs. Vivez avec les monstres qui vous terrifient. Troquez vos vêtements et écoutez les grognements de votre sauvagerie intérieure. » [1]
[1] Pauline Faivre : Emeli Theander. La traversée du miroir
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