Il est 21h00 un dimanche soir, je viens à peine de finir ce livre et j’en fais déjà la chronique. Ça n’arrive jamais. D’habitude, j’ai besoin qu’ils reposent dans mon esprit, que les impressions se déposent doucement. Là je sais que c’est inutile, il m’obsède déjà. Dès les premières lignes, les mots jetés ont germé dans ma vie et peuplé mon espace, dévoré mon week-end. L’histoire est banale, le style concis ; pourtant ce roman pèse de tout son poids sur le quotidien. Il tambourine dans ma tête comme les gouttes à la fenêtre. J’ai l’impression d’être lourd d’une ivresse indicible, invisible, une ivresse qui se coule en 180 pages. Ce soir je sais que je m’endormirai en repensant à ce livre, et demain matin il occupera déjà mes pensées. Il habite tout entier le gouffre qu’il a créé.
C’est la rencontre d’un homme et d’une femme, la naissance de leur amour et son déroulement jusqu’à sa routine. Lui est écrivain, elle va lui demander d’écrire sur leur amour. Sur leur rencontre dans cette salle surchauffée de la bibliothèque, prolongée autour d’un café. Sur leurs mots. Leurs regards. Il va s’y atteler ; et, chapitre après chapitre, la fiction va faire tanguer leur histoire, puis la faire basculer. Jusqu’à faire disparaître le réel.
L’écriture de Peter Stamm n’a besoin d’aucun éblouissement pour tout faire vibrer, elle n’a pas besoin de puissance démonstratrice pour s’affirmer, pas plus qu’elle n’a besoin de situations extraordinaires pour se déployer : avec un style très fin, posé, d’une simplicité désarmante, Peter Stamm nous parle de la vie et de l’amour dans ce qu’ils ont de plus troublant : leur implacable réalité. Les événements planent au-dessus des têtes des personnages, et leur tombent dessus, sans fracas, sans même ébranler la routine. Il laisse sa prose se tisser en même temps que ses personnages chercher leur chemin ; ce n’est ni la fiction qui guide son récit, ni les personnages : ce sont les tiraillements de l’un vers l’autre. C’est d’une beauté rare, de celles où l’on se dit « ça n’aurait pas pu être dit autrement, avec plus de mots. » C’est l’élégance de la justesse. Mais derrière cet effacement de tous les instants se dissimule une vertigineuse complexité narrative : Peter Stamm entremêle réalité et fiction en les faisant plus que dialoguer ; il les fait s’oublier.
J’ai terminé ce roman en me disant : il a tout dit et maintenant, on fait quoi ?
Agnès – 2008
Peter Stamm
Christian Bourgois
177 p.
7.10 €
ISBN : 978-2267019865
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