Bien que Pâques étant bientôt là, ce n’est pas à la chasse aux œufs que l’on s’adonne en cette période. C’est plutôt à la chasse à la Agathe. Forcément attendue au tournant par Instagram, Agathe Ruga, sous le nom de cape d’@agathe.the.book la nuit, est épiée avec ce premier roman : véritable éclosion d’une romancière ou petit coup de pub bien pensé ? Alors évidemment, il faut lire le livre pour pouvoir répondre à cette question. Après l’avoir fait, je peux clore le débat en citant une de nos grandes penseuses de ce siècle : « Tu parles sur moi, y a R, crache encore, y a R / Tu voulais m'avoir, tu savais pas comment faire ». Ça ne fait absolument aucun doute, Agathe Ruga est une romancière et elle ne le doit qu’à son texte. Qu’Agathe Ruga soit blogueuse et bien implantée dans la sphère 2.0 ne devrait même pas donner lieu à des débats ; c’est le texte que l’on juge, c’est le roman qui parle. Et il suffit de tendre l’oreille pour entendre une voix, celle d’une romancière.
C’est le long récit introspectif d’une amitié qu’explore Agathe Ruga. Comment deux amies qui se sont construites sur les strates de leurs émois amicaux en sont réduites à des silences ? Comment expliquer ces deux chemins qui se séparent ? C’est en se saisissant de ce « comment » que l’auteure nous entraîne dans le « pourquoi ». Brune, extravertie, provocatrice, assoiffée de vie et avide d’exultation croise le chemin d’une blonde un peu coincée, un peu bourgeoise et surtout brûlante d’amour. Ces deux caractères vont très vite se couler l’un dans l’autre, à ne former plus qu’une rivière, aux allures d’un volcan. À deux, elles vivront tout : les premiers désirs, les secondes déceptions, les rêves inavoués et les mensonges pardonnés, mais surtout, l’apprivoisement d’un monde qui se refuse à elles individuellement, mais qu’elles conquièrent, ensemble. Main dans la main, elles titubent dans les années folles de leur jeunesse, rentrant au petit matin d’une ivresse inconnue : celle des métamorphoses qui s’annoncent. Leur amitié si fusionnelle va alors se réinventer lorsque Brigitte, la blonde, la narratrice, se mettra en couple avec un garçon rencontré sur les bancs de la fac. Cette amitié, ambiguë, ne tanguera jamais au rythme de leurs folies. Elle ne vacillera pas au contact de leurs infidélités avouées. Elle ne sombrera pas. Elle se recroquevillera sur elle-même, jusqu’à disparaître, un beau jour, sans raison apparente.
C’est un roman extrêmement pulsatile que nous offre Agathe Ruga. Elle nous brosse deux existences balayées par des vents contraires, des existences qui cherchent leur chemin, qui le tracent avec tâtonnement et excès. Mais c’est surtout un premier roman, avec toutes les promesses que cela implique, mais également les maladresses. Sous le soleil de mes cheveux blonds est un livre à l’écriture organique, qui se déploie tout d’abord par torrents, avant de se faire plus calme, de se dompter. En lisant la première partie, j’ai été assez déconcerté ; il y avait énormément de bonnes idées, l’histoire prenait, les éléments se mettaient en place avec une petite mélodie, mais parfois, régulièrement, des passages semblaient maladroits, trop fabriqués, certaines formulations trash tombaient du récit comme de nulle part. Il y avait une certaine précipitation dans le verbe. Un sens de la métaphore hasardeux. Bien sûr, la romancière joue de l’ambivalence entre tous ces corps, mais certains passages auraient gagné à être plus trash dans l’entier, pour que la provocation finale ne dissone pas. Et je cite par exemple cet extrait : « Soudain, nous avons glissé et sommes tombés dans l’herbe, avons roulé tels des petits chats, puis par confort et manque d’espace nous avons poursuivi l’arrosage dans la cave. » Une première partie à mi-chemin entre Françoise Sagan et Jacquie et Michel. Comme des airs de gang bang dans une cave à Cergy-Pontoise sur fond de jazz moody.
J’ai ainsi débuté la seconde partie avec une certaine appréhension mêlée d’espoirs, car je sentais que ce texte cachait quelque chose qui ne demandait qu’à exploser. Et c’est dans cette partie centrale, marquée par le tiraillement de la narratrice entre la constance amoureuse et l’incandescence du désir, que l’écriture d’Agathe Ruga s’est intensifiée, a gagné en maîtrise et en puissance. Elle ne cherche plus à peigner les choses, elle les place comme des évidences. On sent que l’auteure réussit à s’effacer derrière son récit et laisser les personnages le guider. Et à partir de ce moment-là, il n’y a plus cette fausse pudeur dans les mots, il n’y a que de l’assurance et on sent tout le poids des vies peser sur le destin de cette amitié. Il y a un vrai travail au niveau de la langue, tout est fluide, mélodique, ça virevolte autant que ça retombe, sèchement. Ce qui est également remarquable dans ce roman, c’est le sens de la construction romanesque. Souvent, et trop souvent, les premiers romans sont un cri du cœur. Et avec Sous le soleil de mes cheveux blonds, on est face à un livre où chaque morceau narratif est réfléchi et s’imbrique parfaitement dans un ensemble qui, en définitive, gagne en épaisseur et permet de ne pas questionner la perte de cette amitié que sous un seul angle.
On lit Sous le soleil de mes cheveux blonds d’Agathe Ruga avec des airs pleins la tête, mais avec surtout des cadences lancinantes. On est pris dans cette tourmente amicale et amoureuse, on ne sait plus à quoi se raccrocher puisque tout tombe silencieusement en ruine… Alors on suit cette berceuse, en fermant les yeux, en ouvrant son cœur. On se glisse entre les failles qu’ouvre Brigitte et on observe, docilement, les raz-de-marée se déverser dans sa vie. On n’imagine plus rien, car tout se dépose sous nos yeux. Percé par une fébrilité lumineuse, ce premier roman d’Agathe Ruga a la légèreté des rêves naissants et l’absolu de leur chute.
Sous le soleil de mes cheveux blonds – 2019
Agathe Ruga
Stock
288 p.
18.50 €
ISBN : 978-2234087118