Difficile d’échapper très longtemps à la lecture d’un livre que tout le monde porte aux nues… surtout quand ce livre plaît à absolument tous les types de lecteurs ! Tout d’abord il convient de dire que My Absolute Darling est un livre de grand talent : grand, car c’est un grand format, et talent car c’est le nom de l’auteur… (Puisqu’écrire des chroniques littéraires ne paie pas, il faut bien que je tente ma chance autrement, alors si Laurent Ruquier a une petite place pour moi à la radio…) Le propos de My Absolute Darling est quant à lui un peu moins humoristique : sur la côte californienne, Turtle Alveston tente de survivre à l’emprise dévastatrice que se père lui imprime. Bien loin des paillettes et des cocktails du sud de la Californie, c’est dans les bois du nord de cette côte que Turtle – surnommée Croquette – va faire face à cet « amour paternel » qui n’a rien de tendre. Il l’enferme dans une violence psychique, verbale et physique : chaque jour il lui crie son amour absolu en la traitant de connasse, et la viole. Du haut de ses quatorze ans, Turtle cherche la force de se soustraire à cette domination, sans y parvenir. Les années ont façonné sa résilience. Une résilience qui ne peut toutefois pas éliminer toute haine. Si Turtle a l’âge de l’adolescence, elle n’en a cependant pas la moindre expérience ; vivant quasiment recluse dans une petite cabane en bois depuis le décès de sa mère, elle n’a pour seule passion que d’astiquer des armes à feu dans sa chambre. Elle fréquente le lycée, mais ne parle à personne ; Turtle vit dans le monde, mais à l’abri de celui-ci. Elle n’a jamais voulu laisser personne percer sa carapace, refusant de tisser tout lien, se suffisant de la nature comme seule compagnie, arpentant les plages et trouvant refuge dans les rochers. Mais comme dans toutes les histoires, un être vient vous sortir de la torpeur ; cet homme, c’est Jacob, un lycéen blagueur, plus âgé qu’elle, qui l’intrigue et la fascine à la fois. Mais Turtle aura-t-elle la force d’accepter des sentiments sans extrême ?
« Turtle, ton père est un immense, un titanesque, un colossal enfoiré, un des pires qui aient jamais vogué sur les mers verveine de citron, un enfoiré de première dont les profondeurs et l'ampleur de l'enfoiritude dépassent l'entendement et défient l'imagination »
Ce qu’il y a de formidable dans My Absolute Darling, c’est bien que l’inceste soit au cœur du roman, Gabriel Tallent ne prend jamais à partie le lecteur : il nous dépeint les situations, mais en laissant toute l’ambiguïté et le mystère qui font que l’on est nous aussi au cœur de l’histoire, sans même sans rendre compte. C’est un roman sur l’emprise et ses fuites, mais est-ce vraiment un roman sur l’amour destructeur alors que celui-ci est interdit, imposé ? C’est dans cette brèche que Gabriel Tallent s’engouffre avec brio, pour explorer cette ambiguïté avec toute la puissance de son écriture. Je craignais un roman un peu trop descriptif, une sorte de nature writingun peu plus trash, mais My Absolute Darling est l’exact opposé : c’est un roman très psychologique, où les sentiments humains les plus ordinaires sont mis en contraste et s’entrechoquent. Profondément dérangeant, le livre ne m’a pourtant en rien mis mal à l’aise tant le style de Tallent est fin et ne va jamais trop loin dans le glauque. Il montre la nature humaine dans ce qu’elle a de plus pathétique, sans avoir besoin d’ajouter des effets littéraires. Cette capacité à se dévêtir de l’artifice pour aller au plus profond m’a laissé admiratif. En passant par tous les états d’âme, on ne sort pas vraiment indemne de cette lecture, rattrapé comme Turtle par l’étau dans lequel on est fait prisonnier. Ahurissant de folie autant que de douce quiétude, My Absolute Darling est le roman de toutes les fuites : celles avortées et celles rêvées.
My Absolute Darling – 2018
Gabriel Tallent
Gallmeister
453 p.
24.40 €
ISBN : 978-2351781685