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Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

Le Poids du monde, unique fardeau ?



Même si j’essaie de lire de tout, les polars et les romans noirs sont définitivement les deux genres que je lis le moins. Pourtant je me rattrape ! Il y a deux ans, je n’en lisais pas du tout. Je ne trouvais pas mon compte dans une intrigue à suspens ; c’était avant tout le style qui m’intéressait, et je cataloguais les polars et les romans noirs dans le volet « livres écrits avec les pieds et cinq ongles incarnés ». J’allais un peu vite en besogne. Je pourrais vous expliquer pendant des heures pourquoi je me suis trompé, et vous donner mille exemples ; mais je pourrais aussi vous parler de la merveille qu’est le dernier livre de David Joy et vous comprendrez instantanément pourquoi le roman noir (et avec, le polar) n’est pas un sous-genre. Et comme je suis un peu flemmard, c’est la deuxième solution que je vais choisir.

Dans une Amérique rurale et délaissée, au fond des Appalaches, Thad et Aiden, deux amis d’enfance se retrouvent un peu par hasard et partagent un Mobil-Homes crasseux et tombant en ruine. Mais ils ne sont plus les mêmes gamins rieurs qu’autrefois : un passé à base de prison pour Aiden et une guerre pour Thad auront achevé de placer leur vie sur la pente descendante. Si Thad a connu les morts violentes à l’étranger, Aiden n’aura pas eu besoin de partir pour vivre cela : après avoir assisté au meurtre de sa propre mère par son père, il a vu ce dernier retourner l’arme contre lui. Il n’était encore qu’à l’école primaire… Peut-on vraiment se construire après cela une vie qui ne soit pas un débris d’existence ? C’est en tout cas ce à quoi vont s’efforcer les deux amis. Si Aiden semble s’évertuer à faire taire ses démons intérieurs, Thad continue d’héberger en lui une bête furieuse qui ne demande qu’à exploser… Si leur quotidien ne se résume qu’à attendre la pension d’ancien combattant de Thad pour la dépenser en drogues, un deal de came va tourner à l’émeute totale et à la suite d’un ultime accident, les deux vont se retrouver avec un joli pactole. Un magot qui leur ouvrira la porte à tous leurs rêves. Sauf qu’aucun des deux ne semble armé pour accueillir cette chance inouïe de recommencer une nouvelle vie. En équilibre permanent entre espoirs fous et déprime totale, Thad et Aiden sont profondément humains avant tout ; à fleur de cœur, chaque erreur prend des proportions inimaginables, chaque lueur est vouée à s’éteindre, les plongeant un peu plus dans l’obscurité. Avec tout le poids de leur passé et de leurs illusions sur le dos, ils n’auront maintenant plus qu’à prendre la route : mais ce que l’on porte est parfois trop lourd pour ne pas nous ensevelir…

Les familles fracassées, la douleur des deuils successifs de vies du mauvais côté de la barrière de l’argent, le libre-arbitre résumé à sa plus simple expression, la violence comme exutoire ; David Joy y explore le potentiel de la culpabilité et les rouages infernaux qu’elle peut créer. Mais si les thèmes sont d’une noirceur absolue, l’écriture de David Joy n’en rajoute pas plus, elle sait se faire gracieuse. Et Dieu sait que c’est difficile à réaliser en terme de roman noir ! Il ne va jamais chercher le glauque pour le glauque, le trash pour le trash ; ces moments-là viennent sans crier gare. Car bien évidemment, Le Poids du monde est un roman d’une violence extrême, d’une violence excessive, mais non pas dans son traitement littéraire. Et c’est brillant ! Sans pathos inutile, sans démonstrations grandiloquentes, David Joy parle des gens comme ils sont, tout simplement, et non pas comme ils rêveraient d’être ou comme on voudrait qu’ils soient. Et le plus fou est que l’histoire ne se déroule que sur quelques jours, alors que l’on voit se dérouler tout le fil des existences. Il y a chez David Joy une formidable densité qui ne se montre pas : elle se fait ressentir.

Le Poids du monde – 2018

David Joy

Sonatine

321 p.

21 €

ISBN : 978-2355843396

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