Di Mambro, OTS, Salvan : de mots qui balisent un drame et font surgir directement de notre inconscient mille et une images. Mais puiser dans ce vivier-là n’est pas le propos du dernier livre de Julien Sansonnens. Le Drame de l’Ordre du Temple solaire aura marqué durablement les esprits et est entré dans la liste des sujets inlassablement débattus dans les bistrots de village. Il est de ces faits divers qui secouent les générations entières, laissent plus que des stigmates derrière eux. Entre 1994 et 1997, l’OTS aura fait plus de septante victimes. Une secte meurtrière qui sévira en France, au Canada et en Suisse. Derrière les murs d’une grande bâtisse, dans le calme de la périphérie de la ville, se forme une première communauté. Leur leader, Jo Di Mambro, pratique l’occultisme, le spiritisme mais surtout l’excès de bienveillance : il se veut le protecteur des égarés. Légion sont les personnes qui, n’aspirant pas à une vie ordinaire dans la société trouveront refuge dans La Pyramide, sorte de couvent pour gens en marge. L’esprit embrigadé et financièrement dépendant de leur mentor, ceux qui rentreront dans cette fondation n’en ressortiront jamais. En tout cas pas indemnes. C’est dans ce contexte que naîtra Emmanuelle, le 2 mars 1982, proclamée « l’enfant cosmique ». C’est aussi elle qui périra dans les flammes du premier massacre de l’OTS, douze ans plus tard, avec plusieurs membres de l’OTS. Tour à tour considéré comme suicide collectif puis comme massacre collectif, ce drame achèvera de dessiner les contours diaboliques de cette secte.
« Faute de mieux, ton livre est sous-titré « roman », or rien n’est plus inexact. Si le roman implique le recours à la fiction, cet ouvrage n’est pas un roman. Et pourtant, il ne prétend pas non plus décrire la réalité. Sur la base de faits avérés et documentés, tu as construit un réel possible, une interprétation parmi une multitude d’autres, non moins vraie. Comment qualifier un tel travail littéraire ? »
De ce fait divers, Julien Sansonnens n’en fait pas vraiment un roman. Mais ce n’est pas non plus un témoignage journalistique qu’il livre ! Refusant de céder aux raccourcis, il n’utilise jamais par exemple le terme de « secte », n’établissant pas de lui-même la distinction entre bien et mal, entre inconscience et conscience. S’il a réalisé un travail de documentariste pendant des années, remontant les témoignages, fouillant les archives, lisant tout ce qu’il trouvait, il ne pouvait cependant pas s’appuyer sur le factuel pour s’immiscer dans le gouffre qui sépare, ou relie, la manipulation de la volonté propre. C’est donc grâce à un travail de romancier qu’il a pu s’interroger sur les motivations et les mécanismes de cette communauté ; par la rigueur et le sérieux du documentaire il a pu s’approprier ce fait divers, et par le lâcher-prise du romancier il a réussi à atteindre l’indicible. Ainsi, Julien Sansonnens alterne, de manière irrégulière, entre des chapitres où il retrace la naissance de cette communauté et les différentes personnes qui l’ont façonnée, et les chapitres où il prend de la distance par rapport au texte et à son écriture. Il s’interroge à la fois sur la construction de ce drame et sur sa façon de le traiter. C’est avec beaucoup de franchise et de recul qu’il pose un regard sur son travail – s’adressant d’ailleurs en « tu » lors de ces passages – et qu’il soulève ainsi une question essentielle : l’écriture ne présente-t-elle pas une part malsaine de voyeurisme ? C’est une question d’autant plus cruciale que nombre de romans ayant pour source un fait divers fleurissent actuellement (on pense à Jablonka, Jaenada, Carrère par exemple) et érodent toujours plus les frontières entre fait divers et fait romanesque. Julien Sansonnens, autant par son écriture mesurée que par l’angle de présentation des faits dresse le portrait d’un drame avec toute la pudeur d’un recueillement.« Une tombe, quelque part en France. Des océans de larmes versées. Quelques dessins peut-être, dans les cartons d’une famille. Plusieurs dizaines de photographies, dont quelques uns visibles sur Internet. Une mémoire qui s’efface, à mesure que se perdent les souvenirs, à mesure que s’en vont les derniers témoins : que reste-t-il d’Emmanuelle Di Mambro, l’enfant aux étoiles ? » Une écriture très belle, aux accents diaphanes, qui coule sur les atrocités narrées et qui ne fait jamais ressortir l’excès. Avec une délicatesse infinie, Julien Sansonnens époussette les contours du drame de l’OTS qui ébranla les consciences, et ne le déterre pas : il le susurre.
L’enfant aux étoiles – 2018
Julien Sansonnens
Editions de l’Aire
156 p.
20 CHF
ISBN : 978-2940586264