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Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

Un gentleman à Moscou : voyage dans les couloirs d’un hôtel fantasque



Pour la première fois de ma vie je crois, j’ai eu l’impression d’entrer dans un univers, que chaque page tournée me plongeait de plus en plus dans les couloirs de cet hôtel mystérieux. J’ai lu ce livre chaque matin pendant un bon mois, et les personnages étaient devenus des compagnons de voyage. Une aura se dégage de ce roman, et c’est avec délice que l’on se laisse porter par les histoires de ce comte pour le moins… surprenant ! Un gentleman à Moscou est un roman aussi foisonnant que son nombre de pages laisse présager et aussi baroque que sa couverture. Ce livre aux allures de conte commence de manière très particulière : sur un procès ! Dans un tribunal bolchevik en 1922, un aristocrate trentenaire est interrogé. Accusé d’être proche de la génération révolutionnaire, la sentence tombe : il sera assigné à résidence, dans le vaste hôtel où il séjourne. S’il sort de l’hôtel, alors il sera exécuté. Ce compromis, il le doit à son statut d’aristocrate non repenti ! Ainsi, il passera les prochaines 32 années dans cette sorte de prison dorée qu’est l’hôtel Metropol. Accompagné par le lecteur qui suit ses non-tribulations fantasques et drolatiques.

Le Comte Rostov n’est pas un comte comme les autres : dépouillé de ses possessions et de son statut après la révolution, il n’en garde pas moins sa noblesse d’esprit. Et c’est à partir de là que tout prend forme : toute l’histoire, tout le romanesque de son existence ne paraît être qu’une création imaginaire. Pour tromper l’ennui, notre gentleman n’aura de cesse de mettre fantaisie et extravagance dans sa vie, réinventant son quotidien au gré des rencontres et des histoires écoutées. Car s’il paraît irréel, comme sorti d’un film en noir et blanc, le Comte est surtout un digne représentant de la sensibilité culturelle aristocratique du XIXe siècle. Raffiné de la tête jusqu’à bout des moustaches, il est le parfait gentleman, courtois et bienveillant, connaisseur de vins et fin gastronome, intarissable et d’une délicatesse croustillante. Sa vie est réglée comme du papier à musique : il se lève, à 7h, il fait ses flexions, prend ensuite son petit-déjeuner composé de café, biscuits et un fruit pour finalement descendre lire le journal dans le hall et faire la conversation aux autres résidents. C’est donc au sein de cet hôtel très particulier, aux multiples restaurants, bars, salles de thé, que le Comte sera obligé de se réinventer. Et cela passera avant tout par les rencontres qu’il fera.


Metropol Hotel

Lire Un gentleman à Moscou, c’est véritablement avancer à pas feutrés dans l’histoire, découvrir un monde romanesque qui s’étend à l’infini. Les couloirs du Metropol, bordés de luminaires et scintillants sous les lustres, se déroulent comme un labyrinthe et absorbent le lecteur dans une atmosphère d’un siècle passé. Plus les pages avancent et plus on se laisse bercer par la douce mélodie qui conduit le récit, une mélodie qui convoque la douceur de la nostalgie, mais non sa tristesse. Tout cet univers romanesque que crée Amor Towles n’est pas né d’une lubie : entre 1890 et 1910, les USA et l’Europe voient fleurir sur leur territoire les premiers Grands Hôtels. Avec en leurs murs exactement le même genre de vies que l’on croise dans le roman. Le Metropol est d’ailleurs un véritable hôtel, ouvert en 1905 dans le plus pur style de l’Art Nouveau. Mais Amor Towles n’a pas fait une retranscription historique de l’effervescence d’un Grand Hôtel au XXe siècle, il a insufflé une dose de magie à son histoire. Ce décor a quelque chose de grandiose et de très décalé en même temps, qui semble tout droit sorti d’un film de Wes Anderson. L’hôtel est aussi une fenêtre ouverte sur les trois décennies tumultueuses qui traversent l’ère soviétique. Les personnages s’entrecroisent, les titres se superposent, et ainsi les différentes strates sociales se dévoilent, en pleine mutation. Cependant, l’histoire n’est pas un des moteurs du récit, elle ne sert que de contrevent. Amor Towles ne s’embarrasse pas du souci de vérité historique et s’efforce de créer un monde guidé par le pouvoir de l’imaginaire. Et le lecteur s’y laisse glisser, complice d’une tendre rêverie. 

Un gentleman à Moscou est ce genre de roman qu’on aime lire au coin du feu, lors des longues soirées d’hiver qui s’annoncent, un thé chaud à la main et pelotonné confortablement dans un fauteuil.  On a vraiment l’impression de suivre une conversation dans un salon feutré, à épier du coin de l’œil les personnages. J’aime ce roman car il rend l’instant moelleux et cosy, et qu’à peine plongé dans la lecture on se sent quitter le monde immédiat pour en gagner un autre, que l’on regarde avec les yeux ébahis d’un enfant. Et ce qui est certain, c’est qu’un huis clos ne nous aura jamais autant fait voyager !

Un gentleman à Moscou – 2018

Amor Towles

Fayard

576 p.

24 €

ISBN : 978-2213704449

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