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Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

Chroniques ta mère



J’ai la fâcheuse impression depuis quelque temps que la littérature s’est enlisée dans une boue de complaisance. Tout est fantastique, tout est merveilleux. Mais on peut se réjouir de voir fleurir autant de coups de cœur à la seconde, puisque désormais le problème des transplantations cardiaques est réglé. Évidemment je caricature, la situation n’en est pas à ce point. Mais il persiste quand même une sensation de lisseur quand je lis les chroniques qui fleurissent un peu partout, autant dans les journaux que sur les blogs et Instagram. Si j’aime qu’un livre ne soit pas en retenue, j’aime la même chose pour une chronique. C’est mon côté doux rêveur. Un critique littéraire chasse le consensuel : Eric Chevillard ! Chroniqueur de 2011 à 2017 pour Le Monde des livres, la Baconnière a l’excellente idée de sortir ces jours un recueil de ses chroniques. 

« Et pourtant notre bon cœur est tellement sollicité par l’écrivain que nous l’avons bientôt au bord des lèvres. L’émerveillement a les yeux ronds de l’ahurissement. « Le ciel est un torrent qui se jette dans l’amour de Dieu. Bach compte les étincelles sur ce torrent qui coule dans l’infini ouvert d’un cœur dément. » Oui, mais ces mots sont autant de bonbons de guimauve qu’il serait judicieux de mâcher et d’avaler un par un plutôt que de se les fourrer tous à la fois dans la bouche au risque de suffoquer. » (En parlant de Bobin)

« De certains livres, nous pouvons dire encore avec faveur qu'ils sont de forme quadrangulaire parfaite, constitués d'un certain nombre de pages dûment numérotées selon la plus rigoureuse mathématique, après quoi notre enthousiasme retombe. Les Souvenirs, de David Foenkinos, n'est pas un mauvais livre, c'est un livre inutile. »

« Grégoire Delacourt est publicitaire il nous vend son histoire comme il vendrait un gel douche : émotions feintes, érotisme flouté, humour vénal. À vous dégoûter de l’amour et des larmes. On ne sait si tant de vulgarité relève du cynisme marchand ou d’une adhésion candide à cette représentation du monde figée dans le poncif sentimental. »

Même si la saison est actuellement à la chasse, ce n’est pas pour autant qu’Eric Chevillard s’acharne à braconner les auteurs. Il assume ne pas considérer certains auteurs comme indispensables à la littérature, mais son Feuilleton se veut surtout  une déclaration amoureuse à la littérature. Dans sa préface, Chevillard affirme « qu’il y a autant d’excellents écrivains aujourd’hui qu’aux époques les plus glorieuses de notre littérature. Il est vital de s’aventurer hors de la grande bibliothèque pour jouir sans contretemps des phrases du jour, luisantes et mordantes comme de jeunes serpents. C’est la toilette quotidienne du monde. » 

« C'est à se demander parfois si certaines oeuvres littéraires, pour éclore et exister, ne créent pas elles-mêmes sur le dos d'un écrivain les conditions de leur apparition. »

Sur Exley

« Fut un temps, en effet, où celle-ci savait aussi, comme Léon-Paul Fargue le dit d’une musique échappée d’une mansarde, « consoler une dent malade ». Or il me semble que cette qualité s’est un peu perdue. La littérature aujourd’hui nous mettrait plutôt les nerfs à vif. L’écrivain s’est hérissé de griffes, il retourne ses petits couteaux dans nos plaies ; sa langue est abrupte, elle emprunte ses mots aux querelles d’adolescents »

Avec toujours un sens de la formule, Chevillard parle aussi bien de littérature francophone contemporaine que de littérature traduite, parfois rendant même hommage à des écrivains décédés, Chevillard dresse des analyses souvent caustiques et drôles, encore plus souvent passionnées et immodérées. Un recueil qui enthousiasme !

Feuilleton – 2018

Eric Chevillard

La Baconnière

320 p.

19 €

ISBN : 978-2940431861

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