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Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

McInerney et New-York, où quand les illusions déchues tombent en ruine



Si vous ne deviez lire qu’une seule saga, c’est celle-ci ! Commencée il y a plus de vingt ans, elle vient de se clore ces derniers mois avec le troisième tome. McInerney peint la société aisée américaine d’une prose lucide, satirique et pourtant pleine de compassion. Corrine est mariée à Russel, la trentaine comme elle. Elle est courtière en bourse, lui éditeur. Ils naviguent de vernissage en vernissage, de réception privée en réception privée. Ils sont la figuration d’une Amérique branchée, friquée et élégante, des sortes de personnages fitzgeraldiens. Alors que tout autour d’eux les enveloppait dans un cocon doré, à l’abri de tout, Corrine et Russel s’ennuient. Elle quitte finalement son travail et se montre toujours plus pressante avec Russel pour avoir un enfant. Ce bébé est la dernière préoccupation de Russel : à l’étroit dans sa maison d’édition, il rêve de grandeurs. Il lance une OPA sauvage pour prendre le contrôle de tout. C’est dans ce décor du Manhattan des années 80 que ces deux héros traversent une crise existentielle. McInerney campe dans ce couple en apparence idéal toutes les hantises et les questions de la société moderne : désir de grossesse repoussé, trahison, attirance, séduction feinte, adultère, tout est passé au crible.

Entre Balzac et Fitzgerald


McInerney et Bret Easton Ellis dans les années 1990 @ Catherine McGann – Getty Images

Dans une nostalgie mordante, la figure de proue du Brat Pack (aux côtés de Bret Easton Ellis) explore les milieux aisés new-yorkais et va au-delà de la superficialité que l’on retrouve souvent. Il se glisse aussi habilement dans la peau de l’observateur que celui du chroniqueur, oscillant toujours entre un style épuré, touchant, et un autre plus incisif, grattant le vernis avec une dose d’humour ravageur. Dans le premier tome, Trente ans et des poussières, c’est l’Amérique c’est Reagan, le Wall Street chargée à la coke comme « une hypnose de masse ». Et c’est au cœur de cette société où les golden boysversent dans tous les excès que McInerney choisit de planter son action. D’écrivain brûlant, McInerney se transforme en romancier de génie, qui déroule l’histoire de deux vies autant que celle d’une ville. Mais si Bret Easton Ellis personnifiait cette société américaine dorée en une troupe de jeunes brisant tous les tabous, McInerney est plus l’observation et construit un véritable roman sociétal, autour des figures de Corrine et Russel qui permettent à l’auteur de dresser une mosaïque en mouvement. Sociologie de bazar pour génération en mal d'idéal ? Une fois les personnages campés et posés dans leurs milieux respectifs, McInerney s’amuse avec eux et donne à voir au lecteur toute une société qui se cherche continuellement, que ce soit dans l’amour, l’amitié ou professionnellement. Une société où chaque soubresaut positif est accompagné d’une chute encore plus dévastatrice. Le parallèle est certes facile, mais il n’en demeure pas moins véridique : McInerney module ici une véritable comédie humaine, dans laquelle chaque existence est un levier fait pour soulever ce que chacun enfouit. C’est dans et par l’époque que se disent les êtres, les mutations d’une ville qui n’est pas le simple décor des romans, mais un personnage à part entière. C’est un cycle du temps qui se déploie à travers l’histoire des Calloway, comme l’annonce l’épigraphe du premier volume, signée Robert Hass : « Toute la pensée nouvelle se préoccupe de la perte. C’est en cela qu’elle ressemble à toute la pensée ancienne ». Et c’est bien la perte qui sera le motif en anamorphose de l’ensemble du cycle romanesque de Jay McInerney.

Trois tomes vertigineux

Si le premier tome posait les bases de leur désenchantement, les deux suivants ne font qu’accentuer cette courbe. Tout en finesse, les rôles entre Corrine et Russel s’inversent, et les questionnements individuels qui les agitaient se répondent. On ne peut pas lire le premier tome sans enchaîner sur les suivants, tant c’est addictif.

« J’ai le sentiment que nous vivons, dans cette ville démente, une ère dans laquelle tout peut arriver. Vous rappelez-vous ce que Nick Carraway disait en arrivant à Manhattan dans la grosse auto de Gatsby et en découvrant la silhouette de la ville depuis le pont de Queensboro ? En pénétrant dans la ville, Nick dit : ‘’Tout peut arriver, maintenant que nous avons franchi ce pont… absolument tout.’’ ».

Trente ans et des poussières – 2007

Jay McInerney

Points

576 p.

8.50 €

ISBN : 978-2757866375

La belle vie – 2008

Jay McInerney

Points

480 p.

8.20 €

ISBN : 978-2757808108

Les jours enfuis – 2018

Jay McInerney

Points

552 p.

8.50 €

ISBN : 978-2757871324

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