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Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

Déambuler à Lausanne Art Fair



© Lausanne Art Fair

Après avoir vaincu la verticalité de Lausanne sous une chaleur écrasante, c’est au tour de son horizontalité que je m’attaque. Dans de larges travées climatisées, le site de Beaulieu héberge pour seconde année la Lausanne Art Fair ; ce sera mon lieu de déambulation pour l’après-midi. J’y étais déjà venu l’année précédente et j’avais aimé picorer les œuvres, traverser les stands pour repasser devant les mêmes tableaux, mais dans l’autre sens. Alors il n’y avait aucune raison que je manque le rendez-vous de cette année !

Comme l’année passée, il suffisait de s’inscrire par mail pour recevoir un précieux sésame gratuitement. Mon seul iPhone à la main, je pénètre donc dans le Hall Sud de Beaulieu. Je suis au carrefour de la foire ; à droite et à gauche de moi s’élancent des dizaines et des dizaines de stands aux couleurs chamarrées, criantes, et devant moi le même spectacle. Je décide de ne pas prendre de plan : je laisser mes pas me porter, et mon regard s’affairer. Plus que s’affairer, il s’agit de flâner. Parmi les sculptures, les peintures murales, les toiles, les objets déco, c’est mon œil qui décide de mon parcours. Il se refuse le luxe de la linéarité pour mieux se perdre dans les allées transversales. Ou même s’accrocher aux luminaires ! Tout le hall était devenu un vaste espace de jeu, où les œuvres cherchaient à capter mon regard fuyant, à le détourner d’autres cibles. Cette fuite prenait des allures de danse. Je commence par le côté droite de la foire. Les tableaux s’amoncellent sur les murs blancs ou noirs. De loin, je remarque le travail d’un photographe que j’apprécie beaucoup, découvert au travers d’Instagram. C’est Dani Olivier. Il drape ses modèles féminins, nus, de lumières et d’ombres géométriques. Les corps ainsi zébrés bougent sans même être en mouvement. Affairée à expliquer les différents tarifs et formats à une cliente, la galeriste ne me voit pas quitter le stand quelques instants plus tard. Visiter une foire d’art contemporain est une suite d’infidélités. Alors que l’année passée les couloirs étaient gorgés de visiteurs, je peux me déplacer sans avoir à jouer des coudes. La faite à un soleil percutant qui aligne les curieux au port d’Ouchy. A mesure que j’avance et que les œuvres glissent autour de moi, elles ne se déposent pas avec autant de vigueur que je l’avais espéré au fond de mes rétines. Elles glissent simplement, timidement presque. J’ai l’impression que tout se ressemble finalement. Les mêmes couleurs explosent d’un bord d’un tableau pour se retrouver dans le bord opposé d’un autre tableau, quelques stands plus loin. Tout y est trop mécanique, trop systématique. Je me promène dans les stands et j’ai l’impression d’être à un défilé de mode, où les silhouettes se font mêmes, les démarches calquées les unes sur les autres. J’arrive à l’extrémité de la salle et m’en retourne par la travée opposée, ce qui me fait passer devant d’autres galeries, qui combinent Pop art, art abstrait coloré et démonstratif. C’est peut-être ça qui me déplaît et me laisse étranger : tout est trop démonstratif. Ni les tons ni les formes ne vibrent, ils s’empêtrent les uns aux autres, et sur les stands les œuvres semblent entassées, c’est au curieux de tout démêler. Mais l’œil ne furète plus, il se perd dans cette masse sans contours. La foire devient brocante… Les petits stands carré régurgitent les œuvres, qui se vautrent au sol. Je prenais plaisir à zigzaguer autour des galeries, à évoluer en digressions, mais désormais mon chemin se fait plus direct, il part presque au plus pressé. Pourtant je n’ai rien d’autre prévu cet après-midi. La lassitude. Je peine à me dépêtrer de cette glue formée devant ma rétine par l’amas d’œuvres. Je cherche quelque chose d’aérien, qui me tirera à lui, m’extirpera de cette foule. Je contourne un nouveau parterre jonché d’œuvres, j’en fais le tour distraitement. Je le traverse en diagonale, puis je quitte ce stand. Mais au dernier moment, avant que ma tête ne se détourne complètement du lieu, j’aperçois un pan de mur dans l’ombre, noyé parmi les couches de peintures et la glaise dégoulinante. Cinq ou six tableaux sont accrochés, sur chaque portion du paravent noir. C’est bien évidemment trop. Mais les lignes qui s’échappent de chacune des compositions s’entremêlent aux autres, se recoupent, se mangent. Enfin de la vitalité ! L’artiste, Leslie Berthet-Laval, découpe et strie des rues, vides. Cette géométrie lancinante me garde de longues minutes contemplatif. Il me reste encore un quart de la foire à visiter – toute l’aile supérieure gauche – alors je tourne les talons. Cette fois, mon regard a réussi à accrocher quelque chose, mon pas se fait donc plus rapide. Je ne sais pas pourquoi, mais il me semblait que j’avais l’urgence de découvrir, l’urgence d’être émerveillé. Je me suis délesté de ce poids, alors mon pas se fait plus léger, mais non plus vagabond. Je dépasse un ou deux stands, je pénètre dans le périmètre d’un pour en ressortir aussitôt, sans conviction. A l’angle de la halle, je m’arrête quelque instant devant d’étranges formes colorées qui tapissent une grande toile, seule sur un mur. Quelque chose s’y passe, je ne sais pas encore quoi, mais il y a une dynamique et pour l’instant elle m’échappe. Je me rapproche un peu de la peinture et la galeriste vient échanger. Je lui dis que j’aime beaucoup l’harmonie qui se dégage à la fois des couleurs mais aussi des courbes. Surtout qu’il y a énormément d’éléments au sein de cette composition : aux teintes jaune et rouge dominantes se succèdent du noir, du mauve, du crème, du gris et même du brun. C’est un cocktail dissonant, mais l’agencement tout en finesse aplanit le tout. Comme une sorte de collage ; mais il y a plus que cela. La galeriste me fait remarquer que ce ne sont pas des courbes jetées aléatoirement sur la toile, il y a une jambe de femme qui se dissimule, prolongée en buste. Cette toile me fascine toujours plus. L’artiste, Cédrix Crespel, n’exerce que depuis vingt ans mais fait déjà partie de la collection privée du roi du Maroc. Je me laisse envahir par les couleurs très douces et remarque seulement maintenant les liserés qui glissent sur les motifs. A peine perceptibles de loin, ils semblent sous-tendre toute cette composition. Dix minutes plus tard, je passe la porte principale et je suis déversé dans les quartiers hauts de Lausanne avec cette image-là en tête.


Cédrix Crespel, Her Way

Dans le train quittant Lausanne, je repense à cette édition 2018 de Lausanne Art Fair. La première pensée est que je semble devenir tout aussi chiant matière d’art qu’en matière de littérature. Ce n’est pas gagné… Pourtant, cette année j’ai bien l’impression que mon regard sur l’art a changé. Je ne navigue plus d’émerveillement en émerveillement, je deviens plus mesuré. La fougue s’est tassée, à force de voir tant d’œuvres. Il m’est devenu impossible de parcourir toute une foire et de laisser vagabonder mon œil çà et là en accrochant tout au passage. Désormais, accumuler les œuvres demande une digestion. J’ai besoin de les sentir cheminer parmi moi. Cette année, j’ai pris conscience que l’art n’était plus cette flânerie nouvelle, il s’était appesanti. Il n’avait pas pris le caractère solennel, mais il pesait de plus en plus en moi. Et c’était moi qui devenait plus léger !

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