Le pastel revient sur le devant de la scène ! Alors que vient de s’achever l’exposition L’art du pastel, de Degas à Redon au Petit Palais, c’est la Fondation de l’Hermitage qui voit ses murs être drapés des couleurs douces et fardées des maîtres du pastel. Sans qu’aucun lien direct ne soit fait entre les deux expositions !
L’exposition présente à Lausanne jusqu’au 21 mai est un petit catalogue de l’art du pastel : on part à la découverte et à la redécouverte d’un art majeur, quelque peu relégué au fond des placards ces dernières décennies. Pourtant, le pastel n’est pas mort et continue à fasciner nombre d’artistes contemporains, comme le montre le sous-sol de l’exposition, avec une grande salle consacrée à l’utilisation moderne de ce medium. Construite comme un panorama de l’art du pastel, cette exposition a le mérite d’être historiquement très claire et d’offrir en même temps une confrontation directe avec notre temps, pour ne pas être qu’une frise de l’histoire de l’art que l’on déroule. Au cœur de cette exposition trône une œuvre. Celle de Degas évidemment : Danseuses au repos, réalisée vers 1898. Entrée dans la collection de la fondation il y a une vingtaine d’années via une donation, ce somptueux pastel est le point de départ de cette exposition. A ses côtés, ce sont plus de 150 œuvres issues des collections privées et publiques suisses qui sont réunies à Lausanne, pour raconter le grande histoire du pastel, depuis le XVIe siècle en Italie jusqu’au XXIe !
A l’origine, l’Italie
La première salle présente sans surprise les origines du pastel. Le nom vient du latin pastellus (pâte) et renvoie à leur mode de fabrication puisqu’à partir d’une pâte comprenant un pigment de couleur pure, un minéral blanc (poudre calcaire ou argile) et du liant (gomme végétale), des bâtonnets sont roulés et séchés. Au début, les craies n’étaient utilisées que comme simple rehaut, pour amener de la couleur sur une étude. Un des premiers artistes à en faire l’utilisation est Léonard de Vinci, même si un seul dessin rehaussé d’une ligne jaune nous est parvenu. Viennent ensuite, un siècle plus tard, Federico Barocci et Jacopo Bassano qui redéfinissent l’utilisation de ce medium, en ne se contentant plus d’uniquement parsemer des tâches de couleur sur leurs dessins, mais qui usent du pastel pour imprégner les corps de mouvements, les visages de vitalité, l’espace de lumière et organiser de manière inédite le dessin. Ainsi, ils insufflent vie et fraîcheur dans leurs compositions !
L’âge d’or du pastel
Puis le visiteur est bercé dans l’âge d’or du pastel : le XVIIIe. Alors que le dessin au pastel était avant considéré comme un art annexe, il acquiert ses lettres de noblesse dans les l’aristocratie et la bourgeoisie des Lumières. Tous veulent se faire portraiturer par les meilleurs pastellistes ! Apprécié autant pour son exécution rapide, sa technique facile que pour son poids léger à transporter, le pastel, exécuté sur parchemin ou sur papier, devient un art à part entière. Il permet d’exprimer toute l’opulence et la richesse des vêtements des bourgeois et aristocrates, mais aussi de donner à la carnation un velouté et une vitalité nouvelle. Couplés à une sensualité certaine. Le maître incontesté est Jean-Etienne Liotard (1702-1789), qui a peint portraits ou natures mortes. Maurice Quentin de La Tour (1704-1788) et Jean-Baptiste Perronneau (1715- 1783) sont quant à eux considérés comme des rivaux chez les pastellistes du XVIIIe. Dans une ambiance très feutrée due aux scènes intimistes montrées, ces pastels sont baignés d’une épaisse toison lumineuse s’échappant tout droit du centre de la pièce et d’un magnifique lustre, qui donne une touche de grandiloquence à cet âge d’or du pastel. On pourrait rester des heures dans cette salle des Liotard, à se perdre parmi les textures et les jeux de lumière.
Sisley l’impressionniste
Le pastel avait séduit les artistes de la Renaissance car ils avaient là un medium très facilement transportable. Ce n’est donc pas un hasard que le peintre impressionniste Alfred Sisley l’utilise pour saisir sur le vif les effets de la nature. Cette salle du premier étage nous offre un regard assez complet sur l’œuvre de Sisley pastelliste, qui témoigne d’un usage extrêmement maîtrisé des couleurs. Au regard de son œuvre peinte qui est colossale, l’activité de pastelliste de Sisley est plus confidentielle ; on y compte une septantaine de réalisations, principalement des vues de l’Île-de-France. Mais dans sa production plus tardive, on y voit aussi une nette influence d’un des plus grands pastellistes français, Jean-François Millet. On peut donc découvrir dans l’exposition un Sisley s’appropriant les thèmes pastoraux (1890-1894).
Degas, évidemment
Edgar Degas, Danseuses © Giorgio Skory
Il était impensable de parler du pastel sans consacrer une salle à Edgar Degas ! Mais elle ne s’impose pas sur les autres salles, c’est une continuité dans l’aventure du pastel qui est ainsi déroulée. On ne redécouvre pas forcément non plus des facettes ignorées du peintre, on a sous les yeux un aperçu de sa technique, des raisons pour lesquelles il a compté dans l’histoire du pastel (et de l’art). Immense acteur de l’impressionnisme, Degas se livre à d’intenses expérimentations, que ce soit en peinture, en sculpture ou au pastel, qui devient l’un de ses médiums favoris à partir de 1870. De manière classique, il utilise ce matériau dans des dessins préparatoires, comme le montrent les études de mains pour le portrait peint de Madame Camus présentées ici. Mais c’est surtout dans ses grandes compositions abouties que Degas exprime son génie. Auteur de plus de 700 pastels, l’artiste combine diverses techniques et alterne hachures vigoureuses, effets poudrés ou estompés, afin de varier à l’infini les effets de texture. Degas qualifiera ses pastels d’« orgies de couleurs ». On ne présente plus ses thématiques, tant ses scènes de la vie moderne mais surtout ses danseuses ont fait de lui l’artiste que l’on connaît !
Une apparence poudrée
La dernière salle du premier étage consacre un des grands peintre du XIXe: Odilon Redon. Grand admirateur de Degas, Redon utilise le medium du pastel pour créer une œuvre profondément personnelle, où le rêve et l’imaginaire jouent des rôles centraux. L’apparence poudrée du pastel donne à l’esthétique symboliste une ampleur nouvelle, où le mystère qui se dégage de chaque composition n’est que renforcé. L’aspect flou et évanescent de cette matière insaisissable est propice à l’expression des sentiments mêlés et des visions intérieures. L’intensité des pigments autorisant toutes les audaces chromatiques, l’artiste laisse alors libre cours à son univers spirituel.
Le pastelliste comme artiste voyageur
Après avoir gravi une à une les marches de l’escalier en colimaçon, le visiteur se trouve projeté dans une salle donc le propos reste assez flou, si ce n’est de rassembler ici des artistes voyageurs – terme on ne peut plus générique… Elisabeth Vigée Le Brun (1755-1842) est ainsi associée à Giovanni Giacometti (1868-1933), Giovanni Segantini (1858-1899) et Ernest Biéler (1863-1948) pour illustrer le caractère nomade de l’œuvre au pastel. On navigue de tableau en tableau en cherchant les parallèles, sans vraiment être convaincu. Mais les œuvres sont belles, et les Welti et Giacometti ressortent magnifiquement sur le jaune des cimaises, détonnant fortement avec le reste de l’exposition. Mais cela reste assez sommaire quand même pour toute une salle… Souvent le deuxième étage de la Fondation donne l’impression de servir de remplissage, et c’est fort dommage. Il ne reste plus qu’à redescendre jusque tout en bas pour atterrir dans la dernière salle.
Fin-de-siècle
Edouard Manet, La Viennoise Irma Brunner © Dominic Büttner
Si on ne devait mettre l’accent que sur un seul aspect de Pastels. Du 16e au 21e siècle pour convaincre le public d’accourir voir l’exposition, le mérite reviendrait à ce dernier étage ! Merveilleux tant dans les tableaux qu’il abrite que dans l’ambition de sa scénographie, il fait la césure entre la gloire retrouvé du pastel au XIXe et son exploration contemporaine. La première salle revient sur la toute fin du XIXe siècle et le retour en grâce du pastel, notamment grâce à Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923) et Edouard Vuillard (1868-1940). Puis le visiteur est poussé dans la grande salle carrée où il ne sait plus où donner de la tête entre les pastels de Mary Cassatt (1844-1926), Berthe Morisot (1841-1895) ou Edouard Manet (1832- 1883). Entre poésie et mystère, rêverie et douceur, on est transporté dans ces hachures de couleurs de velours qui dépeignent des scènes intimistes. Zébrées comme pour témoigner d’un certain empressement, d’une vitalité accrue, ces œuvres se suffisent presque à elles-mêmes et relèguent le propos au second plan. Que la couleur seule parle !
Le pastel dans l’art contemporain
Nicolas Party, Sunset © Isabelle Arthuis
Le visiteur quitte alors la salle carrée baignée de lumière pour s’engouffrer dans le dernier couloir et achever son voyage dans l’histoire du pastel. Il y découvre le rôle qu’a joué le pastel dans la naissance de l’abstraction (Paul Klee, Frantisek Kupka, Sean Scully), comment il a pu séduire les artistes minimalistes grâce à son velouté (Paul Mogensen, Robert Mangold) et comment les artistes sont revenus à la figuration en l’utilisant comme medium (Peter Stämpfli, Lucas Samaras ou encore Tom Phillips). Mais la sensation de cette salle, c’est cette véritable fresque murale peinte par le jeune artiste suisse Nicolas Party. Il joue et déjoue les codes de la figuration et représentation de l’art pour faire parler le pastel, entre Pop art et fauvisme. Dans des tons acidulés et explosifs, cette intervention murale a été réalisée spécialement pour l’occasion et fascine dès qu’on l’aperçoit. Elle permet également d’entrer plus frontalement dans l’art de Nicolas Party, qui interroge les formes et les couleurs dans leur assemblage. Réinventant les paysages ou les natures mortes, il les transforme en des scènes énigmatiques, où tout coule et déborde.
Cette visite dans la formidable aventure encore trop méconnue qu’est le pastel est à découvrir jusqu’au 21 mai à Lausanne. Et cela vaut bien plus qu’un détour !
Pastels. Du 16e au 21e siècle
Fondation de l’Hermitage
Route du Signal 2
1010 Lausanne
Exposition temporaire à voir jusqu’au 21 mai