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  • Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

Voyage parmi la littérature suisse



Lire un auteur suisse c’est comme arrêter de fumer : on le promet souvent, mais on ne le fait que rarement. Alors il fallait que ça change ! Depuis plusieurs années maintenant, je me suis intéressé à ce qui se faisait à portée de pas ; nul besoin d’aller chercher la littérature à Paris lorsqu’elle vit déjà à Lausanne, Berne, Genève, au Valais, à Neuchâtel… Mais 2017 aura été marqué du sceau de la littérature suisse pour moi – c’est d’ailleurs pour ça que cet article est assumé en « je » – pour une raison assez simple : j’ai fait partie du jury du Prix de la RTS, chargé de lire la majorité de la production littéraire suisse 2017. Ainsi, ce sont les auteurs suisses qui ont accompagné mes voyages en train, ont traîné sur ma table de chevet, mon bureau, dans ma sacoche, ont été au cœur des discussions littéraires. Pendant une année, les livres « made in Switzerland » m’ont épaulé, douze mois à lire plus de soixante ouvrages, douze mois à voyager avec des plumes très différentes, à être versé en Grèce, au Jura, à Paris, douze mois à être dans l’effervescence de devoir avaler des milliers de pages et de les digérer ensuite ; alors après avoir dû me détacher quelques mois de cette frénésie, il est enfin temps de vous embarquer avec moi dans ce voyage parmi la littérature suisse !

De l'exotisme par les livre

Comme tout voyage, j’ai été ballotté, émerveillé, déçu, énervé, laissé sur mon incompréhension, dû batailler, je me suis avoué parfois vaincu, parfois j’ai remis l’ouvrage sur le métier, j’ai sillonné de nombreux styles, de nombreuses contrées littéraires, j’ai rebroussé chemin, j’ai trébuché, et j’ai continué à me frayer une issue, élaguant les pages. C’était intense, riche, peu importe les déceptions ou les coups de cœur. Être au cœur de la littérature suisse pendant une année et devoir à la fin juger pour sélectionner six livres n’est en rien comparable à lire quatre ou cinq livres d’auteurs suisses comme j’ai pu le faire auparavant; on perd très vite le recul, on est directement projeté dans ce tourbillon, le lecteur érodé par les livres comme pourrait l’être une falaise par le vent. Cette aventure, c’était aussi l’occasion de se faire une idée des lignes éditoriales (ou de l’absence de ligne…) des maisons d’édition suisses. Même si je n’ai pas adhéré à tous les titres proposés, il faut saluer ici le travail des éditions Zoé duquel il en ressort une vraie cohérence. Ce n’est donc pas un hasard de voir trois titres sur les six finalistes être estampillés Zoé. En prenant les livres les uns après les autres, en naviguant parmi des dizaines de voix différentes, on peut également y reconnaître, à force, la patte de l’AJAR ou de l’Institut littéraire de Bienne, qui forment, moulent des plumes au style concis, sec à grand renfort de phrases nominales. Pouvant à force, irriter. Parmi ces plus de soixante livres avalés, une sélection finale de six a été réalisée. Mais cet article n’est pas un prétexte pour revenir sur cette sélection. L’idée était de parler de quelques livres, qu’ils m’aient marqué ou déçu, de premiers romans ou de livres d’auteurs confirmés.

Les coups de coeur


Adrien Gygax © Cherche midi

Dans ce déballage livresque, il y a quand même eu des coups de coeur, dont deux premiers romans : Aux noces de nos petites vertus d’Adrien Gygax et L’adieu à Saint-Kilda d’Eric Bulliard. Accompagné d’un auteur reconnu, puisqu’il vient de gagner l’un des prix littéraires suisses : Jérôme Meizoz avec Faire le garçon.

Commençons tout d’abord avec le roman vertigineux d’Adrien Gygax. Aux noces de nos petites vertus, c’est l’histoire d’une fuite de deux amis, Paul et George, qui soustraient Gaïa à son mariage. D’une histoire de triangle amoureux, le récit prend vite une allure de quête d’identité et plonge le lecteur dans les confins d’Istanbul, où George glisse ses désillusions et sa mélancolie dans les vapeurs des drogues, des corps et de l’alcool. Porté par une langue sensuelle, tantôt râpeuse, tantôt vaporeuse, Aux noces de nos petites vertus est l’une des réussite de cette cuvée suisse 2017.

Décor totalement différent avec L’adieu à Saint-Kilda, mais même maitrise de la langue chez Bulliard. Nous sommes sur une portion de terre au large de l’Ecosse, où les vents érodent les vies. Ce récit est celui, là encore, dune fuite, celle des derniers habitants de l’île, évacués à leur demande en 1930. Le ton est puissant, les falaises vibrent sous la plume de Bulliard et ce sont toutes ces âmes qui retrouvent leur vigueur ! Une merveille également.

Quant à Jérôme Meizoz, ce n’est pas le talent de romancier qu’il faut saluer, mais son talent à innover dans la forme. Faire le garçon est construit comme un témoignage, une enquête, où se mêle des instants de récit. L’auteur y décompose la construction de la masculinité, et cherche à exposer certains mécanismes. C’est fort, mais déroutant parfois.


© RTS

Thématique originale

Dans les romans qui ont le mérite de tenter des choses, citons Une toile large comme le monde d’Aude Seigne, qui conte l’histoire de plusieurs personnages, aux vies très éloignées, mais qu’internet relie. C’est une réflexion sur la virtualité et le monde contemporain (retrouvez un autre article plus complet sur ce livre ici).

Lecture évasion

Deux livres sans vraiment de prétentions se dégagent aussi de la case « lecture évasion » : Pas d’éclairs sans tonnerre de Jérémie Gindre et Qui a tué Heidi ? de Marc Voltenauer. Le premier est un roman qui suit la vie d’un jeune homme passionné d’archéologie et qui nous emmène avec lui sur les grands espaces. Quant à Marc Voltenauer, bien que souvent décrié par la critique, il livre avec son second polar une histoire qui fonctionne et qu’on lit avec plaisir.

Hommage à Rahmy

Impossible d’évoquer la littérature suisse sans parler de Philippe Rahmy. Encore moins pour l’année 2017 qui a vu s’éteindre l’un des grands auteurs suisses de ces dernières années. Son dernier livre, Monarques, revient sur sa vie et plus particulièrement sur celle de son père. Un vibrant hommage qui tintent autrement désormais.

Les cancres

S’il y a eu des livres plaisants, et même excellents, il y a aussi eu des incompréhensions. Comment ne pas être interloqué devant le récit mal ficelé et mal écrit que signe Simon Vermot avec Illusion d’optique. Tout sonne faux et tourne en comédie burlesque où l’enchaînement de scènes aussi improbables les unes que les autres verse le lecteur dans une apathie littéraire. Pour le roman Mémoire des cellules de Marc Agron, c’est différent. Le début est, disons-le, une réussite. Tout part pour le mieux. Et d’un coup, le récit s’effondre sur lui-même, accumule les clichés et tourne en une romance inintéressante qui se traîne sur de longues pages. Mais ces deux livres ne sont malheureusement pas les seuls à souffrir de sérieuses faiblesses…

Le but de l’article n’était pas de lister tous les livres publiés et d’en faire un compte-rendu, mais plus de présenter quelques titres que les plus curieux pourront grappiller en librairie. Concernant le Prix du public de la RTS, toutes les informations se trouvent ici, ainsi que la possibilité de faire partie du jury pour une prochain édition : https://www.rts.ch/dossiers/2017/prix-du-public/.

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