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  • Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

La Collection Hahnloser, histoire d’une passion pour l’art moderne



Si l'exposition sur « L’art dégénéré » et les trésors et controverses de la Collection Gurlitt est désormais derrière, le Kunstmuseum de Berne présente encore jusqu'en avril des tableaux d'une autre collection privée. Après avoir été exposée, en partie, pendant une dizaine d’années dans la Villa Flora, la Collection Hahnloser a sillonnée pendant deux ans les chemins en France et en Allemagne. Et c’est depuis août 2017 qu’elle est revenue en Suisse, en dépôt longue durée au Kunstmuseum de Berne. L’exposition que lui consacre l’établissement bernois est aussi un hommage aux deux collectionneurs, Arthur et Hedy Hahnloser-Bühler, qui ont contribué à faire rayonner l’art moderne français en Suisse allemande. Constituée en moins de trente ans, cette fabuleuse collection privée donne à voir autant des maîtres de l’impressionnisme et postimpressionnisme français que des avant-gardes suisses.

Un cercle d'amateurs d'art à la Villa Flora


La famille Hahnloser, vers 1902-1903. De gauche à droite: Hans, Hedy, Lisa, Arthur.

Si le visiteur peut contempler des œuvres de van Gogh, Cézanne, Bonnard ou Vallotton, c’est grâce à la passion d’un jeune couple qui eut l’idée de monter une collection d’art. Nous sommes à la fin du XIXe siècle Arthur Hahnloser et Hedy Bühler se marient à l’âge de respectivement 28 et 31 ans. Trois ans plus tard, ils déménagent à Winterthour et prennent leur quartier dans la Villa Flora. Très vite, cette grande bâtisse devient le lieu idéal de rencontres entre amateur d’art progressistes et éclairés, et les différents membres de la famille. Parmi tout ce beau monde, on retrouve bien sûr Arthur et Hedy, mais également Richard Bühler, le cousin d’Hedy, et l’architecte Robert Rittmeyer. Autour de cafés que l’on dira « révolutionnaires », ces amateurs d’art travaillent au renouvellement du comité directoire du Kunstverein. Animés de convictions communes et d’une passion débordante, ils donnent au paysage artistique de Winterthour de nouvelles couleurs. Mais pour l’instant, ce sont surtout les discussions qui prennent de la place, non les œuvres. Le couple Hahnloser, accompagné par Richard Büler, acquiert une première œuvre en 1907, directement suivie d’une seconde. Il s’agit là de peintures de Giovanni Giacometti et de Ferdinand Hodler, qui finira par devenir un des artistes emblématiques de la collection, et chéris par les deux collectionneurs. Deux frères les rejoignent dans leur entreprise : Emil, le frère d’Arthur, et Hermann, le frère de Richard. Puis une autre personnalité bien connue maintenant : Hans Schuler, cousin d’Hedy mais surtout futur mécène du Kunsthaus de Zurich. Tout le monde était réuni pour bousculer le monde de l’art moderne, mais il manquait encore les artistes.

Une rencontre décisive


Vallotton, La Blanche et la Noire

Les années 1908/1909 marquent pour le couple de collectionneurs un tournant plus que décisif : c’est par l’entremise de Carl Montag qu’ils rencontrent Félix Vallotton, qui les mettra en contact des Nabis et des Fauves. Dès lors, tout s’enchaîne très vite. Les liens se tissent, les achats se font et la « glorieuse décennie » qu’amorce le Kunstverein de Winterthour dès 1910 doit énormément à Richard Bühler et Arthur Hahnloser : sous leur houlette, le Kunstmuseum s’impose comme lieu de référence de l’art moderne français ; on y retrouve Pierre-Auguste Renoir, Aristide Maillol (dont la sculpture en bronze accueille le visiteur lors de l’exposition au Kunstmuseum de Berne), Albert Marquet et Odilon Redon comme points forts.

La consécration de tous leurs premiers efforts arrive en 1916 avec l’ouverture du Kunstmuseum de Winterthour. Et quoi de plus logique d’une exposition consacrée à la peinture française pour inaugurer de la plus belle des façons ce tout nouveau musée ? L’exposition Ausstellung französischer Malerei est monumentale : c’est la plus importante jamais réalisée en Suisse et l’essentiel des prêts provient des collections winterthouroises. Que les Hahnloser se montrent très francophiles est là aussi un fait étonnant, puisque la plupart des collectionneurs suisses allemands prenaient plutôt le parti du Kaiser. L’apogée des Hanhnloser et de leur collection est atteint dans les années 20/30 : tandis que les frères Reinhart, principaux collectionneurs concurrents, constituent leur imposante collection à coups de moyens financiers colossaux, les époux Hahnloser se font plus classiques dans leurs choix et ne s’avanturent pas au-delà au fauvisme, par ailleurs très cadré, d’Henri Matisse et Manguin. Le couple n’est plus à l’avant-garde. Ce qui présage un effacement progressif du monde de l’art.

Après la consécration, le lent déclin


van Gogh, Le semeur

En 1936, la mort emporte Arthur. Hans Robert, le fils, sert de conseiller de fondation au Kunstmuseum de Berne. Hedy n’achète plus que très peu. La collection semble avoir acquis ses contours. Contre toute attente, les plus grands chefs-d’œuvre de la collection proviennent d’Emil. Alors quand il meurt en 1940, c’est le coup de tonnerre : il laisse une épouse, inconnue de la famille, maîtresse des principaux joyaux de la collection. Il ne reste plus qu’à Hedy et ses enfants de les racheter à la veuve. Mais quelques années plus tard, en 1952, elle meurt elle aussi. Dès lors, c’est le flou le plus total : on ne sait plus qui possède quoi, et où est quoi, puisque les tableaux de Bühler n’étaient pas réunis avec les autres. Et il faut attendre trente ans pour que se crée la Fondation Hahnloser/Jaeggli, responsable de la Collection Hahnloser. Sous cette nouvelle impulsion s’ouvre au public en 1995 la Villa Flora, transformée pour l’occasion en musée. Mais le lieu ferme ses portes en 2014, laissant de nouveau la Collection Hahnloser dans les errements de l’époque…

Point sur l'exposition


Manguin, Le Thé à la Flora

Bien, revenons au présent et à Berne. L’exposition Van Gogh à Cézanne, Bonnard à Matisse. La Collection Hahnloser se lit selon un double parcours : d’abord chronologique en étant confronté aux précurseurs de l’art moderne (Manet, Rodin, Renoir), puis à la naissance de l’impressionnisme, au postimpressionnisme pour enfin arriver à l’avant-garde des Fauves et Nabis. Mais également personnel et thématique puisque l’accrochage fait côtoyer des artistes emblématiques de l’histoire de l’art (van Gogh, Cézanne, Toulouse-Lautrec, Monet, Manet, Renoir) et les artistes les plus appréciés du couple Hahnloser (Bonnard, Vallotton, Redon, Matisse, Hodler et Giacometti).

Si l’exposition témoigne des incroyables liens entretenus entre la Collection Hahnloser et le Kunstmuseum de Berne, elle ne reste toutefois qu’une énième vitrine d’une collection privée liée à l’impressionnisme et au postimpressionnisme. De plus l’exposition manque d’explications et l’accrochage est un peu poussif. Si le visiteur n’est pas déjà lui-même informé de l’histoire de cette collection, il peut déambuler dans les travées des salles du musée en cherchant vainement à s’accrocher à un propos, à un élément. Et ainsi avoir l’impression de ne contempler qu’une suite de tableaux de noms connus.

Van Gogh à Cézanne, Bonnard à Matisse. La Collection Hahnloser

Kunstmuseum Bern

Hodlerstrasse 8-12, 3011 Bern

Exposition temporaire à voir jusqu’au 15 avril

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