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Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

L’écrivain derrière les mots : Norman Jail



@ J.-C. Marmara.

A leur sortie début 2016, deux livres avaient attiré mon attention : Trois jours avec Norman Jail d’Eric Fottorino et Le mystère Henri Pick de David Foenkinos. Tous deux parés de la même couverture blanc crème de chez Gallimard et tout deux traitant d’un sujet similaire: l’histoire d’un écrivain mystérieux, se confiant quant à sa relation à l’écriture chez Fottorino, tandis que chez Foenkinos, il s’agit d’une enquête sur l’identité de cet écrivain devenu un incontournable des librairies. Il me semblait donc important de les lire non pas en même temps, mais l’un après l’autre, pour avoir le regard qui glisse d’un point de vue à l’autre. Mais pour cela et pour épargner mon compte bancaire, il me fallait attendre leur sortie en poche… ce long chemin de croix semé d’embûches, auquel tout lecteur est confronté au moins une fois dans sa vie… Presque deux ans d’attente. Alors quand leur sortie poche a été annoncée, je ne pouvais décemment pas passer à côté !

Un sujet, deux angles différents

Les deux chroniques de L’écrivain derrière les mots se veulent comme un diptyque : car les deux romans se répondent fortement sur le fond et que les confronter permet de voir comment sont posées les mêmes questions, et sur quelles réponses elles débouchent. Mais aussi parce qu’en les mettant en regard, on voit à quel point une histoire traitée sous deux angles différents – sous le prisme du huis clos chez Fottorino et selon une comédie chez Foenkinos – peut puiser dans des mécanismes totalement différents. Et proposer ainsi deux lectures aussi éloignées à l’arrivée que proches au départ !

Une sacralisation des mots et de la littérature


Commençons avec Trois jours avec Norman Jail. L’intrigue est simple : une jeune étudiante, Clara, débarque dans une petite ville au bord de mer pour s’entretenir avec l’écrivain Norman Jail et surtout comprendre pourquoi il n’est l’homme que d’un seul roman, Qui se souviendra de nous?. Voilà pour le constat de départ. Mais ce qui est absolument saisissant avec ce roman, c’est la profusion de langage que Fottorino arrive à contenir dans un très court texte (deux cents pages), livrant ainsi un véritable manifeste en faveur de l’écriture. Norman Jail s’impose dès les premières comme une figure forte, qui guide le scénario : le livre prend alors des allures de confessions. Plus de la moitié du livre est composée des réponses et explications de Norman Jail, un quart des questions de Clara et le dernier quart suffisant à poser les rares moments d’intrigue ou de description. Le véritable intérêt de l’ouvrage se situe donc dans les prises de parole, fortes, de Norman Jail. Au fil du récit, il se mue en une sacralisation de la littérature et des mots eux-mêmes : « On pourrait croire que c’est en choisissant les mots les plus précis qu’on traduit le mieux. C’est faux. Les mots vont de travers et m’éloignent souvent de ce que je voulais dire. C’est une impuissance dont vous n’avez pas idée. La vérité c’est que les mots me déportent de ma trajectoire. » (p. 84) Plus l’entretien avance et plus le lecteur se senti directement apostrophé par Norman Jail, tant Fottorino arrive à donner corps à son personnage et le faire occuper la totalité de l’espace. Et pourtant, c’est pour nous dire que lui-même s’efface devant la littérature ! « Ecrire est une perpétuelle naissance. Plus j’écris, plus je m’invente à mes propres yeux. Je m’écris en main propre. Je nais de mon encre et je glisse entre les lignes de ma part de nuit. C’est important, la nuit, dans un livre. C’est ce qui échappe, ce qui résiste. Ce que les mots détournent et refusent. En écrivant, vous comprenez ce que la lumière doit aux ombres. Et le passé aux mensonges. » (p. 40)

« L’écriture est une mémoire dans un tissu d’oubli. »

Dans un style très lyrique mais sans emphase, Fottorino nous emmène dans les coulisses de l’écriture, là où les écrivains livrent un combat avec leurs pages, avec eux-même. Il y a des pages qui sont en entier des pures merveilles, des pans entiers de texte qui arrêtent le lecteur et le mettent devant des agitations littéraires existentielles. C’est un roman très fin, où chaque mot est pesé, puis mis en doute quelques lignes plus loin, qui pose une question somme toute très banale : qu’est-ce qu’écrire ? Et pourquoi publier ? Norman Jail répond à cela p. 138 : « Ecrire. Un écrivain doit oublier ce mot. L’écriture est une mémoire dans un tissu d’oubli. C’est aussi une des raisons profondes qui m’ont poussé à ne pas publier. Si j’avais publié, on m’aurait sans cesse rappelé que j’écrivais, on m’aurait sans cesse demandé quels rapports j’entretenais avec l’écriture, voilà bien une question pornographique ! » Par cette défense de l’écrivain, Norman Jail ne demande qu’une chose : le droit au silence.

Bien sûr le dernier tiers du livre se concentre plus sur l’intrigue romanesque et la vie de Norman Jail qu’il s’agit de démêler, jusqu’à comprendre qui il est réellement. Mais le cœur du livre se trouve selon moi avant, dans cette confrontation entre Clara et la figure de l’écrivain, dans ce calme qui pourtant n’est agitation psychique cachée.

C’est un livre emprunt de sagesse littéraire que nous livre Eric Fottorino avec Trois jours avec Norman Jail, et qui interroge la littérature sur sa puissance brute, sur sa vocation et qui relègue au final l’écrivain à un esclave enchaîné aux mots. Trois Jours avec Norman Jail devrait être une lecture obligatoire pour quiconque voudrait écrire, tant les enjeux soulevés sont cruciaux et humbles.

Conseil de lecture : à lire en sirtotant un porto rouge, histoire de déguster chaque phrase.

Trois jours avec Norman Jail – 2017

Eric Fottorino

Folio

224 p.

6.60 €

ISBN : 978-2072720147

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