© Joël Saget
Après un premier volet de L’écrivain derrière les mots consacré au roman d’Eric Fottorino, nous voici à refermer le diptyque avec l’autre figure fictionnelle ; celle d’Henri Pick, le héros absent du livre de David Foenkinos. Deux romans au principe de départ assez semblables mais pourtant deux traitements romanesques totalement différents que nous tentons ici de comparer.
Une comédie burlesquo-sentimentale
Si Fottorino s’est attaché à nous mettre au cœur d’un dialogue entre une étudiante et un écrivain pour qui les mots et l’écriture étaient des maîtres, Foenkinos lui va puiser dans un tout autre genre : la comédie à la française. Tantôt burlesque, tantôt sentimentale, cette comédie fait vivre un grand nombre de personnages, autour d’un seul axe : le roman à succès d’un écrivain inconnu et qui plus est désormais décédé. C’est en Bretagne que tout se fomente : un jour, un écrivain et sa compagne éditrice rentrent dans une bibliothèque très spéciale : un endroit uniquement voué aux manuscrits refusés. Ils tombent sur ce livre et devant la puissance de cette prose, repartent en n’ayant qu’un seul but : publier ce livre. L’auteur de ce chef-d’œuvre n’est autre que le pizzaïolo du village. Fait encore plus étonnant, car selon sa femme il ne lisait jamais et écrivait encore moins. Dès lors, le récit se transforme en enquête pour découvrir qui était ce mystérieux Henri Pick.
Une galerie de personnages tout droit sortis d’une téléfilm M6
Illustration de couverture de Soledad Bravi
On retrouve des thèmes communs entre les romans de Fottorino et Foenkinos – le rapport de l’écrivain à l’écriture, un regard sur l’édition et la publication – mais alors que le livre de Fottorino était une merveille de prose, le texte de Foenkinos est aussi plat que les cookies de Starbucks. Avec ce nouveau roman, David Foenkinos consolide sa bonne place au panthéon des écrivains français faisant figure d’imposture grandiloquente actuellement, aux côtés d’Angot, Schmitt, Delacourt et consorts. Ces mots sont durs, mais lorsque un livre dégouline de clichés littéraires et sociétaux jusqu’à ressembler à une pile de Big Mac, ça fait beaucoup. Bien sûr que c’est un roman qui se veut léger. Mais la légèreté n’est pas prétexte à médiocrité. Mais reprenons les clichés : la bibliothécaire du village est forcément un peu enrobée, porte des lunettes et se sent délaissée par son mari, celle qui travaille dans l’édition tombe instantanément sous le charme d’un auteur, le journaliste littéraire est bien sûr dépassé et recherche le scoop qui le sauvera… on a tout le panel des personnages un peu pittoresques, de qui on aime bien parfois se moquer, parfois prendre en pitié. Plus on avance dans la lecture, et plus on se sent dans un téléfilm de 13h30 sur M6. On ne comprend pas si les personnages sont là pour nous faire rire, ou s’ils servent à une tentative maladroite d’étude sociétale et relationnelle. Car avec la bibliothécaire qui trompe son mari (et son ennui) avec un jeune homme de passage, le critique littéraire qui se fait quitter par sa femme à cause d’une éraflure à la voiture, la femme retrouvant son ex-mari puis découvrant que c’est toujours un goujat, on ne sait pas si l’on doit rire ou pleurer, tant les clichés ne font que s’amonceler et que Foenkinos ne va au fond de rien du tout. Alors certes le livre se lit, cela peut être divertissant, mais c’est quand même très faible au final…
Fausses sentences pour vrai problème de texte
Un autre problème de l’écriture de ce roman, c’est le nombre de phrases définitives qui parsèment le texte. D’apparence sibyllines, empreintes de sagesse, elles sonnent creux et alourdissent encore plus en clichés un livre qui était en déjà gorgé… « Ne fallait-il pas être perdu ou fragile pour créer ? Non, c’était absurde. On avait écrit des chefs-d’œuvre dans l’euphorie, on avait écrit des chefs-d’œuvre dans le désespoir. » (p. 39) : c’est le parfait exemple de ces sentences censées claquer, mais qui tombent de banalité… Quand on travaille des tournures aphoristiques, c’est à la fois la construction syntaxique et le fond qui doivent être gonflés de puissance. Si l’un des deux pêche, alors le passage tombe à plat. Ici, ce sont les deux qui pêchent… Qu’apprend-on en lisant la phrase précédente ? Que l’on avait écrit des chefs-d’œuvre dans la joie, mais aussi dans le malheur. Se laisse-t-on impressionner par l’affirmation ? J’en doute. L’a-t-on déjà entendue ? Mille fois, au bar PMU du coin. C’est en assénant des vraies-fausses formules que Foenkinos ne parvient pas à donner à son texte un corps. Tout reste en surface. Et si ce n’était qu’une phrase mal placée, on fermerait les yeux ; mais c’est un assemblage. Dans la même page, quelques lignes plus loin, on retrouve la réflexion suivante : « Ecrivain est le seul métier qui permette de rester sous la couette toute la journée en disant : ‘’Je travaille.’’ »
Avec la même absence d’acuité et d’originalité, Foenkinos verse dans la méta analyse de son métier en déclarant que « Frédéric mit la table avec le plaisir un peu ridicule de se sentir utile. Les écrivains sont si heureux à l’idée d’accomplir une tâche ménagère. » (p. 46). C’est plat, très plat… On croirait cette phrase tout droit sortie d’une conversation d’un dimanche après-midi dans un salon de thé.
Une structure qui tangue
Il reste encore un point à aborder : la gestion de l’économie romanesque (ou comment un écrivain organise son espace narratif). Je ne veux pas m’acharner sur le pauvre Foenkinos, mais là encore, c’est très brouillon. Ce sont neuf parties, composées chacune d’une dizaine ou vingtaine de chapitres, qui tiennent le roman debout. Mais loin d’offrir une structure cohérante au texte, on a l’impression qu’elles sont jetées au hasard dans le récit, sans raison apparente. Un personnage disparaît ? Nouvelle partie. La femme est enceinte ? Nouvelle partie. Quelqu’un dit quelque chose d’intéressant ? Nouvelle partie. Foenkinos a la même gestion de l’espace qu’un homme lâchant le bar après dix shots de Tequila. Ça tangue.
Finalement, c’est peut-être un livre sans prétention qui sert de lecture d’évasion, mais la touche légère n’arrive en tout cas pas à effacer les nombreuses faiblesses de ce roman…
Conseil de lecture : à lire accompagné d’un grand verre d’eau de Javel
Nous voyons bien avec ces deux romans les chemins radicalement opposés que peut prendre une histoire. Le roman de Fottorino propose une réflexion sur l’écriture et la portée des mots, celui de Foenkinos donne plus de place à l’évasion et la comédie, en se contentant de poser les éléments sans jamais les traiter. C’est peut-être là un des exemples les plus criants de la différence entre littérature et lecture. Il n’est cependant pas question ici de juger les lecteurs, chacun lit ce qu’il aime et c’est bien là le plus important : prendre du plaisir.
Le mystère Henri Pick – 2018
David Foenkinos
Folio
336 p.
7.80 €
ISBN : 978-2072762031