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  • Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

Et à la fois nous savions que nous ne serions pas ivres


Jon Monnard est l'auteur d'un premier roman paru cette année aux éditions de L'Âge d'Homme, Et à la fois je savais que je n'étais pas magnifique. Cette rencontre avec lui fait écho au concours Instagram (lancé sur ma page ici). Pour remporter un exemplaire dédicacé spécialement par l'auteur, il vous suffit d'aimer la photo sur Instagram et d'être abonné à nos deux comptes (qui sont: @jncsk | @qperissinotto). Tirage au sort à la fin du mois. Bonne chance à tous, et bonne lecture !

Il est 17h30 lorsque nous arrivons au centre-ville de Neuchâtel. Le soleil tape fort, les nuages ne filtrent rien ; la chaleur est étouffante pour une soirée automnale. Tels deux touaregs en plein désert, nous nous mettons en quête d’une oasis locale. Ça y est, elle apparaît au détour d’une rue, tapie derrière des lourdes enseignes : Chauffage Compris (tout ce scénario étant une excuse pour justifier le choix de faire un entretien autour non pas d’un café comme les gens civilisés, mais d’un – gros – apéro). Une fois le tavernier venu prendre les commandes (deux cidres), Jon Monnard se sent rassuré de revenir à ses racines et à une spécificité bien fribourgeoise : boire. Beaucoup.


Alors Jon, comme l’idée était de construire cet entretien à partir des différents alcools que l’on allait boire, j’aimerais savoir si un alcool pourrait résumer ton écriture !

J’ai l’impression qu’il y a – comme ils ont appelé ça – « des envolés », « des fulgurances » et c’est un peu le propre de l’alcool en général. Après l’alcool dont je parle le plus dans le livre, c’est le gin. Mais purement quant à mon style, ce serait un alcool qui passe par plusieurs stades quand on le goûte : quand tu as un a priori, une peur ou un premier goût qui arrive et que finalement ça te réchauffe ton corps tout entier. Pour ça, le whiskey résumerait assez bien. Mais d’une manière assez banale, d’avoir quelque chose entre les mains, de le sentir, et ressentir que ça te fasse déjà quelques petits remous. Et d’ensuite le boire et, que l’espace d’un instant, ça te réchauffe totalement ou que tu te dise « putain ça déchire ». Que ça se tasse et sa revienne. Donc je dirais ça comme ça !

« Dans l’écriture je ne suis pas un réaliste, c’est-à-dire que je préfère prendre une inspiration, un élément qui me rappelle un goût, un souvenir, une odeur »

Donc quelque chose d’assez cyclique en somme, qui va et vient ?

Oui et c’est pour ça je pense que même dans l’écriture je ne suis pas un réaliste, c’est-à-dire que je préfère prendre une inspiration, un élément qui me rappelle un goût, un souvenir, une odeur. C’est comme ça que j’ai construit ma rédaction : je faisais des avants-arrières, je venais toujours sur le souvenir pour parler d’un événement présent. J’ai toujours fait un parallèles avec ce que je connais, car ça m’évoque un souvenir, et si ça m’évoque une souvenir, une sensation arrive forcément.

Alors là, je précise à ceux qui nous lisent que Jon Monnard, maître dégustateur pour cet entretien, vient de nous commander apparemment une spécialité de sa région ; une suze-lait.

« Ce qui est étrange avec l’écriture, c’est que ce n’est pas un exercice de style ni un exutoire pour moi. »

Si tu puises ton inspiration dans des souvenirs, est-ce qu’il y a une sorte de pouvoir cathartique dans ton écriture ?

Il y a certes une folie dans l’écriture : le fait de toujours se transposer, le fait de ressasser des choses, de revenir en arrière sur des éléments du passé. Mais moi en tout cas je n’ai jamais pris ça comme un exutoire. Il s’est passé des choses dans ma vie, peut-être que je les raconterai une fois mais je ne les raconterai jamais en m’apitoyant sur ce que je vis car j’essaie toujours de trouver le bien là-dedans. Ce qui est étrange avec l’écriture, c’est que ce n’est pas un exercice de style ni un exutoire pour moi. Pour ce que je suis en train de faire actuellement par exemple, j’ai une conscience qui s’est aussi éveillée et même réveillée grâce à la publication. Maintenant, je joue un peu plus, je fais plus attention aussi. Je pense que ce premier roman m’a fait plaisir pour me lancer dans la suite. Un peu comme un délire que tu as envie de réaliser pour passer à la suite. Et pour ce premier roman, je suis content de ce que j’ai fait, mais pour moi il y a encore mieux à faire, différent à faire et il faut encore prouver aussi. Mais ça m’a fait du bien de le cracher ; je sais que pour les thématiques prochaines, les sujets se refléteront d’un livre à un autre, mais le but au final c’est quand même de se débraser de ça et de créer quelque chose de nouveau.

Izana, le serveur, arrive avec son plateau lesté des deux potions magiques : « Alors voilà votre truc dégueulasse, vraiment dégueulasse. Je ne sais pas si je l’ai mal fait : j’ai mis de la suze, 4 cl, du lait, et peut-être faudrait casser avec de l’eau. Je vous laisse goûter. Mais plus jamais. C’est vraiment dégueulasse. »

Et bien justement, puisqu’on va semble-t-il bientôt mourir, on va parler salut. Dans le roman, il y a deux thématiques principales : l’amour et l’écriture. Et à tour de rôle, l’amour et l’écriture vont plonger Coska, ton personnage principal, dans une lente descente aux enfers. Puis finalement, un élément va le sauver. Est-ce que ton récit se construisait justement dans le but de le sortir de l’enfer par n’importe quel moyen ?

Je confirme, c’est vraiment dégueulasse cette suze-lait. Sinon, ce sont vraiment deux thématiques qui sont venues s’imbriquer, ou même se séparer. Le but à la base était de mêler la littérature et la mode. Mais pas forcément de dire que le personnage principal trouve son salut dans la littérature. Il se dit qu’il a envie d’écrire, mais il n’a pas forcément la prétention de devenir écrivain. Ce livre comme je le dis souvent, c’est un crachat ; je ne me suis pas forcément dit « là il faut ci, là il faut faire ça », ce sont des personnages qui se sont construits au fur et à mesure de ce qu’il leur arrivait. Et lui quand tout à coup il tombe amoureux de cette fille, ça correspondait aussi à une période de ma vie où j’étais dans le trouble au niveau de mes sentiments ; j’avais envie de reconstituer ça et j’avais le choix entre faire une fin tragique, mais je trouvais que c’était un peu facile ou donner cette petite note de positif, mais avec quand même du doute à la fin. Et c’est la seconde variante que j’avais envie de thématiser. Parce que je n’avais pas totalement envie qu’il s’en sorte, je souhaitais qu’il y ait ce moment total où il pète un plomb. On voit à un moment donné qu’il est quelque peu interné, en tout cas qu’il sort du « Pavillon des blessés » et donc on comprend qu’il sort d’un internement, ou en tout cas d’une convalescence. Donc il s’en remet, et ça faisait aussi partie de l’idée que je voulais amener qui est que finalement les sentiments ne sont pas toujours des sentiments négatifs. Mais il reste pétri de doutes, même vers la fin !


L'objet du crime: les deux Suze-lait

Izana, revient : « Ça va, vous êtes toujours vivants ? » Nous sommes bien vivants et mieux encore, plus déterminés que jamais à poursuivre notre dégustation. Deux Chouffe, bière assommante, viennent rejoindre la tablée.

« Ce que je voulais juste, c’était intégrer la littérature à un milieu où l’on prône le superficiel »

Il y a l’amour, il y a l’écriture, mais il y a aussi la mode ! Tu te sers de ce milieu comme réceptacle d’une critique de la société, mais aurais-tu pu imaginer planter le décor de ce roman dans un autre milieu, par exemple le milieu littéraire ?

Je suis vraiment parti de la mode pour construire mon roman pour une simple et bonne raison – et je pense que c’est mon côté un peu bileux qui ressort là : la mode est vraiment un milieu de privilégiés ; beaucoup l’observent mais peu le connaissent. Et j’ai travaillé avec des gens qui connaissaient très bien ce milieu et ça me permettait d’avoir une protection entre guillemets. En évoquant donc ce milieu, mais sans trop aller dans les détails, en ne prenant que ce que je voulais.

Car justement la mode est au final esquissée, il n’y a qu’une seule fois où on est versé en plein cœur de ce milieu, c’est lors de la soirée où le texte de Coska est présenté. Ni le lecteur ni Coska y accède au final, à la mode.

Non non, Coska n’y accède pas car ça m’aurait paru disproportionné, voire impossible. Il pouvait y accéder avec un texte parce que Prada fait des soirées comme ça. Et je me suis dit « et si un jour Prada se dit tout d’un coup que c’est une idée unique et qu’il y a un directeur de communication ou un directeur artistique qui prend cette idée pour une prochaine collection ». Je me suis dit que c’était plausible. C’est pour ça que je l’ai intégré. Mais après, je me suis dit que s’il devenait influenceur, ça ne se passerait pas du tout comme ça, c’est beaucoup plus difficile. Ce n’est pas possible d’accéder juste avec un texte à tout à coup un buzz. Ce que je voulais juste, c’était intégrer la littérature à un milieu où l’on prône le superficiel. Et puis ce que je voulais montrer avec le choix de mon personnage, Ghiaccio, le directeur artistique, car il est à la fois tiraillé par la création et le côté industriel – puisqu’il faut finalement produire pour une marque – mais il aimerait aussi beaucoup créer car il est sensible à ça. Et avec la mode ce qui m’intéressait, c’était que si j’avais pris le milieu littéraire, on m’aurait directement fait le reproche de parler d’un sujet que je ne connais pas. Mais en attendant toutes les personnes qui parlent de la Première Guerre mondiale ou de ci ou ça, est-ce qu’elles y étaient ? non. Est-ce qu’elles peuvent en parler ? oui. Donc j’essaie de me protéger avec un premier roman en parlant d’un milieu qui est très peu connu mais auquel je peux accéder par des connaissances, car je sais que si j’avais pris le milieu littéraire, j’aurais été attaqué sur tous les fronts.

On a beaucoup parlé de ton livre, mais j’aurais voulu savoir : est-ce que le personnage principal ce n’est pas toi ? Non je rigole, c’est une question que je n’ai jamais comprise. Et elle revenait à chacune de tes différentes interviews ; alors pourquoi selon toi, on a besoin de demander ça ?

Je ne sais pas si ça rend les choses plus authentiques parce qu’un livre on se dit que c’est quelques pages écrites comme ça, que c’est un mec qui s’asseye à une table et puis voilà. Peut-être qu’on se sent plus proche de l’auteur parce qu’on a l’impression d’être rentré partiellement dans son petit monde. Est-ce que c’est ça ou est-ce que c’est tout simplement du voyeurisme ? Peut-être qu’on ne poserait pas la question à un archéologue qui parle de sa découverte d’un gisement, car on saurait directement que c’est lui. On m’a posé beaucoup de questions par rapport à Besson, par rapport à Paris, par rapport à la mode, on m’a même demandé hors plateau « est-ce que vous avez déjà été dans le mannequinat », « est-ce que vous avez déjà fait une école de mode ? »

Jon Monnard à Izana : « Excusez-moi mais vous n’auriez pas des cacahuètes ou quelque chose à grignoter ? »

Je me suis même demandé si on n’a pas envie de rencontrer l’auteur car on s’est dit « le personnage du livre est intéressant » et du coup on veut rencontrer l’auteur pour voir si les deux se correspondent. C’est étrange finalement.

« On est bon que dans ce qu’on est vraiment »

On arrive quasiment au bout de cet entretien, donc je te laisse choisir le bouquet final niveau boisson.

Jon Monnard : « Un gin, sec ? Allez, un Bombay Sapphire ».

Et maintenant après un premier roman, quels sont les projets en route ?

Ce que dit Rilke c’est qu’il faut être content de ce qu’on a fait peu importe les critiques ; l’important c’est ce que pense notre cœur. Et dans les deux prochains projets de bouquins, j’ai envie de traiter de sujets qui me tiennent à cœur. Je ne vais pas écrire un livre pour plaire à tout le monde. Je vais peut-être faire attention à certaines choses, à des erreurs de premier roman. Mais je ne vais pas écrire pour plaire à tout le monde, je ne vais pas faire du policier pour plaire, ce n’est pas le but. On est bon que dans ce qu’on est vraiment. Je n’ai pas envie de parler avec des mots savants, je n’ai pas envie de citer lui ou elle, j’ai juste envie d’être moi-même et de parler de ce que je ressens. C’est pour ça que j’adore citer le rap, évoquer des choses qui parlent à tout le monde. Je ne suis pas populiste mais j’aime ce qui est populaire.

Surtout que le rap et la littérature sont deux choses absolument complémentaires selon moi ! Ce que tu trouves dans la littérature tu ne le trouves pas dans le rap, et inversement.

Exactement, car le format de la musique et du livre est différent. Mais si on regarde, depuis les années nonante jusqu’aux années 2000, il y a une évolution ; avant c’était eux qui criaient dans la rue ce qui n’allait pas : avant il y a eu les barricades, après il y a eu les gars dans les cités qui criaient. Et je prends toujours: il y a une chanson qui s’appelle Skurt Cobain qui est un featuring de Nekfeu et de Sneazzy et à un moment il dit « canon au fond de la gorge » (car Kurt Cobain s’est flingué avec un fusil) et ensuite « je suis au fond de la gorge d’un canon » et je trouve ça puissant, bien que vulgaire. Avec le sens propre et le sens figuré d’un mot, en les mettant côte à côte, on a deux lectures différentes et je trouve ça très intelligent.


C’est ainsi que les gosiers étanchés et les propos dissertés, que nous gambadons gaiement dans les rues à la recherche d’un autre bistrot mais pour y boire cette fois, un thé.

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