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Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

Les grandes dames de l'impressionnisme 1/4


Lorsque l’on déambule dans les expositions partout dans le monde, et que l’on arrive dans les salles consacrées à la peinture du XIXème siècle, ce sont les mêmes noms que l’on observe : Monet bien sûr, Corot, Manet, Pissaro, Degas ou encore Renoir. Mais derrière ces moustaches qui frétillent et ses cannes qui se balancent se cachent des toiles oubliées du grand public et souvent des musées eux-mêmes. Alors que l’impressionnisme est à son apogée à Paris, quatre femmes peintres se distinguent, brisant avec énergie les carcans de cette société Second Empire. Il s’agit de Berthe Morisot, Eva Gonzalès, Mary Cassatt et Marie Bracquemond ; et avec Les grandes dames de l’impressionnisme nous vous dressons le portrait de l’impressionnisme et ses peintres femmes sous forme de feuilleton en quatre temps. Aujourd'hui, Berthe Morisot.

L’impressionnisme et les femmes


Au XIXème siècle et dans les premières décennies, Paris était le seul endroit en Europe qui offrait un cadre et des conditions de travail acceptables aux femmes, pour se former à l’art. Bien sûr l’accès à l’Ecole des beaux-arts leur sera interdit jusqu’en 1897, mais elles pouvaient avoir recourt à des académies privées. Certes la qualité de l’enseignement variait fortement, mais c’était une première chance pour les femmes et ainsi Paris devint le creuset d’une communauté internationale d’étudiantes : vers la fin du XIXème siècle, pas moins de trois-cents Américaines venaient chaque année se former à Paris. Malheureusement, souvent considérées comme talentueuses mais amatrices, les femmes se consacraient aux arts avant de se trouver un mari : il n’était pas possible et envisageable pour elles de vivre de leur talent. Surtout que les cours de nus leur étaient interdis. Cependant, l’impressionnisme a servi de détonateur et pour la première fois, des femmes prennent part à un mouvement et contribuent à son évolution !

Une éducation et une lignée artistiques

Berthe Morisot est née dans une famille bourgeoise en 1841. Son père est préfet du département, puis travaille ensuite à la Cour des comptes. Comme toute bonne famille aisée, les Morisot font une certaine place à l’art dans l’éducations de leurs enfants (Berthe a deux sœurs aînées et un frère). Ainsi, ils apprennent ensemble le piano et surtout la peinture. Les peintres Geoffroy-Alphonse Chocarne et Joseph Guichard se chargent alors de leur enseigner les bases de composition d’un tableau. Très vite on voit que les sœurs Morisot ont un talent pour manier le pinceau et Guichard se permet la confession à leur mère qu’elles seront de grands peintres. Mais il annonce ceci un peu comme une catastrophe ! Il faut dire qu’ayant comme arrière-grand-oncle l’illustre Jean-Honoré Fragonard fournit certains gènes !

Première exposition et rencontre avec Manet


Le Berceau (1872)

Vient alors le temps des premières expositions : Berthe et Edma exposent pour la première fois au Salon officiel en 1864. Berthe y propose alors des paysages, mais non des paysages nus comme elle aimait le préciser. Elle se rend régulièrement au Louvre pour y copier les chefs-d’œuvre. C’est ici qu’elle fera la connaissance de Fantin-Latour, et grâce à ce dernier qu’elle fera une autre rencontre déterminante pour elle ; celle d’Edouard Manet. Elle se lie d’amitié avec lui et il devient son mentor. L’influence de Manet sur la peinture de Morisot est immédiate, écrasante, mais l’élève trouve peu à peu son propre style, nettement plus léger et aérien. En 1869, sa sœur Edma arrête la peinture, sûrement découragée par les barrières que la société dressait alors sur le chemin des femmes voulant choisir une autre voie que celle du foyer matrimonial. Heureusement pour Berthe, sa famille est très ouverte et ne l’empêche ni de peindre, ni de jouer les modèles. Au cours des années 1860, les Morisot organisent nombre de soirées réunissant peintres, poètes et écrivains. C’est dans l’ambiance feutrée de ces salons qu’elle fréquente Emile Zola, Charles Baudelaire, Charles-François Daubigny ou encore Edouard Manet. Berthe vend quelques tableaux au marchand d’estampes Alfred Cadart. Mais sa carrière prend un nouvel envol quand elle décide de se frotter à la grande innovation du moment : la peinture sur le motif, en plein air, selon les principes de l’Ecole de Barbizon. C’est une des seules ayant eu l’audace d’aller au-delà des préjugés d’alors qui jugeait déshonorant pour une femme de peindre en plein air ou dans la rue. Elle parfait sa formation en voyageant en Espagne en 1872, en Angleterre trois ans plus tard ou en Italie en 1881.

Les impressionnistes au salon


Roses trémières (1884)

En 1874, Berthe Morisot met le feu aux poudres de l’art de l’époque : avec Monet, Sisley, Pissaro et Degas, elle fonde la Société anonyme des artistes, peintres, sculpteurs et graveurs qui organisera des expositions indépendantes jusqu’en 1886. Elle prend donc part à la première exposition du groupe des impressionnistes, en y présentant des œuvres d’une grande légèreté picturale faite de touches lumineuses et vivantes comme l’avait encouragé Corot, mettant ainsi en péril la notoriété acquise grâce à ses œuvres antérieures, plus conformes aux attentes d’alors. Malgré de nombreux soutiens, Berthe Morisot dérange une grande partie de la critique avec son art toujours plus recherché et audacieux. Et surtout car c’est une femme. Sa situation de peintre femme, elle l’évoquera dans ses carnets : « Je ne crois pas qu’il ait jamais eu un homme traitant une femme d’égal à égal, et c’est tout ce que j’aurais demandé, car je sais que je les vaux. »

Une peinture qui séduit


La lecture (1888)

Berthe Morisot participera à toutes les autres expositions impressionnistes (1876, 1877, 1879, 1880, 1881, 1882 et 1886) hormis celle de 1879, pour raison de santé. En décembre 1874, elle épouse Eugène Manet, le frère d’Edouard. Les raisons du mariage diffèrent selon les deux époux : elle ne voulant pas être seule, lui étant fou amoureux. De ce mariage naît une fille quatre ans plus tard : Julie. Les Manet reçoivent chaque jeudi plusieurs artistes et écrivains, parmi lesquels Degas, Caillebotte, Monet, Pissaro ou Mallarmé. Ce dernier deviendra son ami et son plus grand admirateur. Les peintures de Berthe Morisot suscitent alors l’intérêt de l’intelligentsia et des peintres d’avant-garde. Elle est invitée pour la première fois à exposer à l’étranger, en 1887 à Bruxelles. L’influence de Morisot s’est aussi exercée sur Manet : c’est elle qui le convainc de peindre en plein air, et c’est à son contact que sa palette se part de tons plus clairs.

Le déclin


Manet, Le repos (1869)

Son mari meurt en 1892, peu avant la première exposition personnelle de Berthe, à la galerie Boussod et Valadon à Paris. Puis s’est elle qui s’en va à l’âge de 54 ans en 1995, emportée par la maladie. Sur sa tombe, on trouve la mention « Berthe Morisot, épouse d‘Eugène de Manet » et son acte de décès indique « sans profession »…

Sa palette, ses compostions


Jeune femme en gris étendue (1879)

Si Berthe Morisot a connu une grande renommée parmi ses amis peintres de l’époque, elle n’a jamais eu de son vivant une reconnaissance publique. Elle fut quelque peu oubliée au XXème siècle car ses œuvres se trouvaient pour la plupart dans des collections privées. N’ayant pas la renommée d’un Manet ou d’un Monet, elles ne figuraient pas dans les musées. Mais le talent de Berthe Morisot fut redécouvert à l’aube du XXIème siècle grâce à des expositions consacrées à l’impressionnisme, en particulier aux USA et en France. Quant à son style, Gustave Geoffroy écrira dans un article en 1881 : « Les formes sont toujours vagues dans les tableaux de Mme Berthe Morisot, mais une vie étrange les anime. L'artiste a trouvé le moyen de fixer les chatoiements, les lueurs produites sur les choses et l'air qui les enveloppe... le rose, le vert pâle, la lumière vaguement dorée, chantent avec une harmonie inexprimable. Nul ne représente l'impressionnisme avec un talent plus raffiné, avec plus d'autorité que Mme Morisot ». On voit bien là l’influence considérable qu’a pu avoir la peinture de Berthe Morisot sur les peintres de l’avant-garde. Sa palette va dans les clairs et les pastels, ce qui constitue un pont très clair entre la peinture du XIXème siècle et celle du XIXème. Son trait est très libre, tantôt fougueux, tantôt rapide. Sa peinture lumineuse cherche à capter les instants de bonheur, fixer « quelque chose de ce qui se passe, oh ! Quelque chose, la moindre des choses, un sourire, une fleur, un fruit, une branche d’arbre » selon ses mots. Parmi ses compositions, on y trouve beaucoup de portraits, en particulier de sa fille Julie, aux côtés de paysages. Elle garde également un intérêt très marqué pour les scènes de la vie quotidienne. Berthe Morisot est l’antithèse du peintre maudit ; ses toiles reflètent plutôt l’environnement tranquille et aisé dont elle fait partie. Berthe Morisot est celle qui apporta une touche de légèreté et d’élégance dans le groupe des impressionnistes.

Pour aller plus loin :

Livres :

Manœuvre, Laurent : Les pionnières, Editions des Falaises, 2016

Rey, Jean-Dominique : Berthe Morisot, Flammarion, 2016

Vadepied, Guy : Mary Cassatt. Les impressionnistes et l'Amérique, Encrage, 2014

Romans :

Manet, Eduardo : Le fifre, Ecriture, 2011

Bona, Dominique : Berthe Morisot. Le secret de la femme en noir, Le Livre de Poche, 2002

Film :

Berthe Morisot de Caroline Champetier (2013)

Emission radio :


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