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  • Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

9.5 sur l'échelle de Luther



Pour commémorer les 500 ans de la Réforme, l’église Saint-François à Lausanne a donné carte blanche à l’artiste du terroir Sandrine Pelletier. C’est comme cela que les traditionnels bancs ont été remplacés dans l’entier de l’édifice par des échelles calcinées et entremêlées. Posées à même le sol, des échelles de toutes tailles, mesurant parfois près de dix mètres, s’élancent vers les ogives et jouent avec l’obscurité. Le but de l’association chargée des projets artistiques était de « faire prendre conscience que les convictions issues de la Réforme sont présentes de nombreuses façons dans le monde et la culture modernes et inviter ainsi chacun à s’interroger sur la signification de la Réforme pour le présent. »

Lausanne, ville de la Réforme

Que cette installation se retrouve au cœur de Lausanne à l’église Saint-François ne doit rien au hasard. Soixante villes européennes ont été labellisées « ville de la Réforme » pour le rôle qu’elles ont joué dans l’émergence de la Réformation. Dont Lausanne grâce à l’église Saint-François pour son rôle clé. C’est ici que le Réformateur Pierre Viret prêche pour la première en 1536. Pendant la dispute de Lausanne du 1er au 8 octobre 1536, c’est donc logiquement à Saint-François que se rassemblaient les réformateurs, parmi lesquels Farel, Calvin, Caroli et Viret. « Il est vite apparu que cette commémoration serait l’occasion idéale pour l’Association l’hospitalité artistique de proposer son troisième projet artistique. »

Un troisième projet artistique


Derrière ce projet artistique se cache une association, celle de l’Hospitalité artistique qui œuvre depuis 2012 à réunir la culture contemporaine sous toutes ses formes (arts plastiques, musique, danse, littérature) et la théologie. Après deux premier projets, l’un en 2012 (La Nativité selon Burland) et l’autre en 2014 (Rudy Decelière un Jardin à Saint-François), elle présente cette année-ci, jusqu’au 1er octobre, 9.5 sur l’échelle de Luther à Saint-François. Il faut dire que l’espace témoigne d’un riche artistique et la démarche entre en écho avec les grandes orgues, les peintures décoratives d’époque, les vitraux de Clément Heaton, Alexandre Cingria, Ernest Biéler et Pierre Chevally ainsi que la monumentale porte en bronze.

Une scénographie d’entrelacs d’échelles brûlées de toutes les tailles


L’exposition présentée ici de Sandrine Pelletier se décompose en deux : tout d’abord il y a cette scénographie d’entrelacs d’échelles brûlées, de toutes les tailles. Le visiteur est directement plongé au cœur de l’œuvre même, sans recul possible, mais variant à son gré les points de vues sur ce chaos d’échelles noircies. Le lien avec la Réforme ne saute pas forcément aux yeux, il faut au visiteur le temps de se promener le long de la nef pour que les associations d’idées affluent. On décompte 95 échelles, pour les 95 thèses de Luther contre les indulgences. Une possibilité de comprendre l’installation est de voir celle-ci comme l’impossibilité de l’élévation graduelle du fidèle au travers des dons, puisque les échelles ne sont ni stables ni terminées. De plus, elles sont calcinées. Elles symbolisent les heures sombres de la Réforme, qui est d’abord une tragédie pour beaucoup avant d’être une liberté. L’Église se divise, l’Europe se fragmente, les familles se déchirent et toute cette période est émaillée de coups bas, de menaces, de procès, de bûchers. Elles témoignent également de cette fragilité institutionnelle, l’ensemble de l’installation semblant comme replié sur lui-même, tanguant dangereusement. Et cette image de chantier correspond particulièrement bien à la fois à l’Église étant en pleine transformation, mais aussi à l’église Saint-François qui était au Moyen Âge une des portes de la Ville de Lausanne. Elle se situe désormais au centre de la ville et symbolise donc ce perpétuel mouvement. Sandrine Pelettier, d’après ses mots n’est « que le passeur, le paysagiste » de ce qu’est la Réforme. L’idée de cette installation lui est venue alors qu’elle était résidait au Caire en 2012, juste après le Printemps arabe qui a bouleversé le pays. « Je suis tombée sur une église au milieu du désert, encore couverte d’échafaudages de bois. » Une fois l’image déposée dans son esprit, l’artiste a mûri sa réflexion autour de la thématique et le mot « chantier » a rapidement surgi, évoquant la construction et la déconstruction, l’élévation et l’ascension. « J’étais partie sur des revêtements blancs de chaux, lorsque je suis tombée sur une gravure du 17ème siècle représentant une voûte d’église et une échelle bien trop haute pour être réaliste. J’ai eu alors cette envie de remplir l’église d’échelles, anamorphiques et géométriques, qui s’entrecroisent, se relient et se complètent dans l’espace, un peu comme du dessin en 3D, ou comme du « maquillage », en surlignant le lieu d’un trait de kôhl carbonisé. » Dès lors, le concept était trouvé !

Un vitrail en « bas relief » qui coule

La deuxième partie de l’œuvre de Sandrine Pelletier se compose en un vitrail en « bas relief » qui coule, comme accidentellement, à l’emplacements des quatre remplages des fenêtres nord, qui étaient alors encore vides. Ce vitrail intègre durablement le magnifique patrimoine vitraillé de l’église Saint-François et détonne : il sort du cadre stricte de la fenêtre pour couler sur le mur de la nef ! « La coulée vitrifiée a emporté sur son tracé toute image, toute représentation biblique ou mystique. La seule rémanence de l’image se laisse deviner dans les couleurs en coulures coagulées, telles des scories. Le vitrail en magma, fait écho à l’interdit biblique de l’image qui est avant tout interdit de la représentation idolâtrique, que les réformateurs ont estimé nécessaire de rappeler en leur temps. »

Sandrine Pelletier, pyromane des poncifs techniques et esthétiques

Sandrine Pelletier est une artiste bien connue dans la région puisqu’elle est née ici, à Lausanne en 1976. Elle participe cette année à deux expositions dans la capitale vaudoise : à l’église Saint-Francois et au MUDAC avec l’exposition collective Miroir miroir. Véritable déconstructrice au niveau artistique, elle pousse depuis 2009-2010 chacun de ses médiums à leur point de rupture. Elle confronte la céramique, le verre et le bois au feu et il en ressort des organismes distendus, tordus, meurtris mais toujours emplis d’un langage fort. Sandrine Pelletier agit en pyromane des poncifs techniques et esthétiques !

9.5 sur l’échelle de Luther à Saint-François

Église Saint-François

Place Saint-François, 1003 Lausanne

Exposition jusqu’au 1er octobre

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