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  • Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

La rentrée littéraire… en poche



@ Getty Images

581. Ce n’est pas le nombre de bouées flamant rose qui sont postées chaque jour sur Instagram, ni même le montant en centimes de l’argent rendu par François Fillon, encore moins le nombre de guêpes qui s’invitent à l’apéro. C’est tout simplement le nombre ahurissant de livres promis à cette rentrée littéraire. Alors face à ce raz-de-marée livresque, que choisir, qu’éviter ? Cette chronique n’y apportera pas de réponse ! Certains se sont très bien acquittés de la tâche et surtout le sujet a largement été traité dans les médias et les blogs. Et de toute façon, si j’avais dû choisir le livre de cette rentrée, c’eût été Jérusalem d’Alan Moore traduit par Claro et personne ne l’aurait lu ; trop long, trop compliqué, trop ambitieux… Alors il sera quand même question de la rentrée littéraire 2017, mais du côté moins strass et paillettes de la littérature ; le format poche ! À la place de craquer pour un roman à la couverture et au résumé alléchants, laissez-vous conquérir par des livres qui ne devront pas décevoir.

Boussole de Mathias Enard

Ce livre est d’un foisonnement réduit étourdissant. Mais quel style ! Il est à la fois expérience de lecture car c’est un véritable défi que de comprendre le style d’Enard, de saisir ses références, de ne pas se perdre dans ses digressions, de ne pas se laisser impressionner par un livre qui nous dépasse ; et expérience de littérature car énormément de questions sont soulevées, la matière romanesque amène un réflexion constante extrêmement poussée.

Mais ce qui frappe dès les premières pages, c’est le style déroutant, magnifique, dense et très poétique. La puissance évocatrice d’Enard est impressionnante : il peut parler du désir sur une ou deux lignes mais parvient quand même à rendre la toute puissance aux mots. Sa narration est constamment enveloppée d’un mysticisme et d’un romantisme. C’est un chef-d’œuvre stylistique. D’autant plus que cela part d’une véritable ambition littéraire : raconter la nuit d’un homme, seul dans sa chambre, souffrant, de manière introspective. Voyager de souvenir en digression, de l’Occident à l’Orient. C’est une écriture spontanée mais extrêmement travaillée ; et ce qui prodigieux c’est que ce n’est pas le narrateur-personnage principal qui prend toute la scène romanesque, ce sont les personnages issus de ses digressions qui sont projetés en premier plan. Boussole n’est pas une structure en deux dimensions, ni même en trois ; les différents fils narratifs forment une toile d’araignée qui se soulève, se met en mouvement, puis se repose quelque instant, en attendant la prochaine impulsion. Le narrateur essaie à la fois de cerner Sarah et sa narration. Mais les deux lui échappent. Quand il a l’impression de mettre la main sur Sarah, elle disparaît en une pirouette, l’obligeant à passer à une autre réminiscence, un autre lieu.

Quand on se retrouve face à la prose d’Enard, c’est comme face au bon vin. On ne peut dire qu’une chose. « C’en est ».

Boussole – 2017

Mathias Enard

Babel

480 p.

9.80 €

ISBN : 978-2330081492

Le Vieux Saltimbanque de Jim Harrison

Ce n’est pas le meilleur livre du romancier américain, oui. Mais c’est son dernier livre et il convoque toute la puissance de ce qu’a été Big Jim : éternel jouisseur, nostalgique, sauvage, lucide, touchant. Avant de mourir à l’âge de 78 ans, Jim Harrison aura eu le temps d’écrire ses mémoires, à la troisième personne : ce livre. À la frontière entre le testament littéraire et l’autoportrait de l’écrivain en hédoniste, Le Vieux Saltimbanque fourmille de confessions du romancier, lui qui a été longuement boudé par le succès aux USA. Il y revient d’ailleurs dans son livre. Il est également question des paysages édéniques de l’Ouest américain, de la chasse, des vins, de la nourriture. Il a toujours été un écrivain du plaisir : « On ne peut pas essayer d’écrire sur la sexualité, le destin, la mort, le temps et le cosmos quand on rêve en permanence d’un énorme plat de spaghettis aux boulettes de viande. » Et c’est ce dernier que l’on retiendra de lui.

Le Vieux Saltimbanque – 2017

Jim Harrison

J’ai lu

160 p.

6 €

ISBN : 978-2290148679

Il est avantageux d’avoir où aller d’Emmanuel Carrère

Vingt-cinq ans d’articles (des reportages comptes-rendus d’audience, préfaces de livres, chroniques pour un magazine féminin) ici rassemblés en un seul volume : la démarche peut sembler au pire commercial, au mieux inutile. Cependant, l’auteur est Emmanuel Carrère et cela change tout ! Car on sait l’ambition particulière qu’a l’écrivain de mélanger ce qui relève de la fiction et ce qui relève des faits. Il ne fait presque pas de différence entre la littérature et le journalisme comme il le confiait. « Ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir écrire un reportage comme je le ferais pour un livre. A la première personne, en tournant autour du pot, en ayant la possibilité de raconter les choses d’une façon un peu sinueuse. » Il emmêle donc ici littérature et journalisme, et chaque portrait agit en réalité comme un autoportrait et esquisse autant les traits de l’écrivains que de son œuvre.

Il est avantageux d’avoir où aller – 2017

Emmanuel Carrère

Folio

544 p.

8.20 €

ISBN : 978-2072723353

La Pipe d’Oppen de Paul Auster

Là encore il ne s’agit pas d’un roman, et pourtant il ne faudrait pas passer à côté de ce livre ! Paul Auster explore au travers quelques uns de ses maîtres à écrire comme Georges Perec, Alain Robbe-Grillet,Samuel Beckett, Edgar Allan Poe ou encore Joe Brainard. Paul Auster nous ouvre, avec quatorze essais, discours, préfaces, entretiens, les portes de son panthéon littéraire. Mais pas que. C’est effectivement la bibliothèque idéale d’Auster que nous découvrons, mais aussi des histoires d’amitié et d’admiration – comme une manière de se dessiner à travers les autres. Comme dans ses romans, c’est aussi sa propre écriture qu’il sonde ici.

La Pipe d’Oppen – 2017

Paul Auster

Babel

192 p.

6.90 €

ISBN : 978-2330081621

Nue de Jean-Philippe Toussaint

Nue est le quatrième et dernier volet de l'ensemble romanesque qui retrace quatre saisons de la vie de Marie, créatrice de haute couture et compagne du narrateur. Mais pas de panique, chaque roman peut se lire séparément ! Évidemment ils prennent une place particulière dans l’économie générale du cycle, mais les questions que chacun des quatre livres abordent, les styles ainsi que les techniques narratives divers les font émerger comme autant de pointes d’icebergs. Enfin publié en poche après une sortie quatre ans plus tôt, ce roman à la grâce limpide fait réapparaître les tourments amoureux ; l’amante habite les pensées du narrateur, sa mémoire, ses fantasmes, ses projets. Marie est une image fugace, vaporeuse, qui sans cesse scintille pour mieux étourdir le narrateur. « Marie, femme de son temps, active, débordée et urbaine, qui vivait dans des grands hôtels et traversait en coup de vent des halls d'aéroport en trench-coat mastic dont la ceinture pendouillait au sol ». Une lecture qui dit et redit l’attente amoureuse, dans le sillage d’un Roland Barthes.

Nue – 2017

Jean-Philippe Tousaint

Les Éditions de Minuit

192 p.

7 €

ISBN : 978-2707343840

California Girls de Simon Liberati

En 1969, l'actrice américaine Sharon Tate, femme du cinéaste Roman Polanski, alors enceinte de 8 mois, est assassinée par des membres de la communauté "la famille", dirigée par le gourou Charles Manson. C’est de ce fait réel sordide que s’empare Simon Liberati pour en faire le cœur de son roman. Et c’est surtout pour montrer le basculement qu’ont subi les années 60 avec ce crime : mise en garde contre les sectes, la vie nocturnes, l’influence néfaste du groupe, tout sonne comme la perte d’une certaine naïveté. L’auteur français signe encore un texte choc.

California Girls – 2017

Simon Liberati

Le Livre de Poche

320 p.

7.30 €

ISBN : 978-2253070450

Petit pays de Gaël Faye

C’est la révélation de la rentrée 2016 qui sort en poche cette année. Critiques dithyrambiques de la part de la presse, un public conquis : pourtant ce texte m’est totalement passé au-dessus. Je l’ai trouvé trop convenu, gentillet et un peu poétique mais sans plus, sans trop de rythme. Seule la fin m’a tiré de ma torpeur de lecteur. Mais comme il a fait l’unanimité, je ne pouvais pas ignorer cette sortie poche. En espérant qu’il vous ne laisse pas aussi indifférent que moi…

Petit pays – 2017

Gaël Faye

Le Livre de Poche

224 p.

7.10 €

ISBN : 978-2253070443

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