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  • Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

La normale célébrité



Réunir ces deux livres pour les faire se répondre était osé. Mais ce qui l’était encore plus, c’est de parler du livre de Nabilla sans pour autant le démonter d’un bout à l’autre. Car s’il y a bien une chose sur laquelle se sont mis d’accord les lecteurs plus qu’occasionnels, c’est que les livres écrits par des buzzpeople sont des hérésies. Car ils sont publiés uniquement pour faire vendre, car ils sont mal écrits, car ce n’est pas de la littérature… Ce qui me rassure dans une certaine mesure, puisque ces personnes-là n’ont décidémment pas lu une seule ligne d’un Pancol, d’un Gavalda, d’un Besson ou encore d’un Eric-Emmanuel Schmitt. Et ça, c’est une bonne nouvelle pour la littérature.

Je dois encore annoncer que non, parler du livre de Nabilla n’est ni un placement de produit (mais si elle veut me rémunérer, c’est avec plaisir, la maison accepte toute sorte de paiements), ni un pari perdu. L’idée m’est venue, très naturellement, à la lecture du livre de Serge Joncour, L’Idole : il est question d’un homme qui se réveille un jour et découvre qu’il est célèbre. Pourquoi, il ne le sait pas. D’abord incrédule, maladroit, il se laisse prendre au jeu de la célébrité. Sa seule arme contre ce milieu qui n’est pas le sien, dont il ne comprend pas les codes, est l’humour. Et c’est exactement comme cela que Nabilla se protège : en faisant rire. Et Nabilla le dit-elle même : « Parce que je suis jolie, parce que je suis drôle ».

Et si l’on explore depuis longtemps les liens et la frontière entre fiction et réalité, pourquoi ne pourrait-on pas prendre pour propos et en dialogue, un roman et un livre qui se veut comme un témoignage (un « document » nous dit le sous-titre) ? On ne juge pas ici de la qualité littéraire d’un texte, on le place en complément d’un roman, pour avoir un point de vue interne. Joncour nous peint la célébrité soudaine, Nabilla nous emmène dans la spirale de celle-ci.

Autopsie d’une célébrité

A la première page du récit de Serge Joncour, on trouve ceci : « Seulement voilà, il est dans la nature de l’homme de pousser plus en avant ses déséquilibres, de prolonger abondamment ses ivresses, c’est pourquoi, au lieu de faire demi-tour, je continuai de marcher au milieu du monde et de sa reconnaissance magnifique, j’explorai cette sensation déroutante, cette grâce inédite qu’il y a à voir tout le monde s’étonner que ce soit bien vous qui passiez là. » Et que dit Nabilla des débuts de la célébrité ? « T’arrives, t’es un événement, ensuite, suffit de suivre le move. Stressant mais pas bien sorcier finalement. […] Tu apparais. T’es là, t’es quelqu’un. » C’est exactement la même image, celle d’une marée qui vous surprend et vous emporte avec elle, sans qu’on s’en rende compte forcément. Les deux ont l’impression de vivre en dehors de leur propre vie, de voir leur célébrité sans y prendre part, de ne pas comprendre grand chose de ce qu’il se passe. Tout va trop vite pour saisir quoi que ce soit ! « Tu commences à vivre un bordel qui ne concerne que toi, et en même temps qui ne te concerne pas vraiment. »

L’humour comme mise à distance

Dans L’Idole, Serge Joncour nous campe un personnage ahuri par sa célébrité, qui ne comprend plus ce qu’il y a. Tout au long du récit, il ne cessera d’accumuler les bourdes, d’être lourdeau et maladroit : Joncour utilise, comme dans L’écrivain national, l’humour pour prendre le maximum de distance avec le monde qu’il dépeint. Pas question de verser dans le cliché d’une critique au vitriol de tout cet univers, l’humour permet bien plus de libertés ! On retrouve également cette distance chez Nabilla. Vraie ou fausse naïveté de sa part ? Bien sûr on ne peut s’empêcher d’être sceptique et de soupçonner une propre mise en scène. Mais c’est également le medium de l’autodérision qui permet ceci ! « Ça a vachement plu. Les cadreurs et les ingés en ont rigolé derrière leur micros. » Une fois l’humour est l’instrument de description (chez Joncour) et une autre fois il est le moyen d’entrer dans ce monde, en plus de le décrire plus tard avec ce même ton.

L’humour, vraie célébrité

Si l’humour est si présent, quel rôle joue-t-il vraiment ? Intéressons-nous aux dernières pages des deux livres. Chez Joncour, le personnage principal sort de la célébrité, comme il y est rentré : d'un coup, sans comprendre (la fin du livre est donnée car il n’y a pas de suspens, le véritable intérêt du roman est l’accumulation des scènes et non le fait que l’on veuille savoir ce qu’il arrive finalement). Et Nabilla affirme qu’elle va devenir une fille normal. Alors la célébrité ne serait qu'une passade ? Si l’on s’en fie aux deux textes, elle serait si lourde à porter qu’il faut se créer une échappatoire. Faire de l’humour permet de se construire une mise en scène, et ainsi échapper plus facilement à tout ceci, en se cachant derrière ce personnage. L’humour est la réelle célébrité. Celle qui dont en peut se défaire, car elle a été gardée à distance. Mais quel ton prendre une fois celle-ci derrière ? Aucun des deux textes n’y répond. La célébrité est morte, vive la célébrité !

Trop vite – 2017

Nabilla (avec la collaboration de Jean-François Kervéan)

J’ai lu

250 p.

6.50 €

ISBN : 978-2290137505

L’Idole – 2009

Serge Joncour

J’ai lu

216 p.

4.80 €

ISBN : 978-2290018538

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