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  • Photo du rédacteurQuentin Perissinotto

Nekfeu à la source



On parlait déjà beaucoup de Nekfeu avant, mais jamais autant d’étiquettes ne lui ont été collées que depuis la sortie de son nouvel album : rappeur pour babtous fragiles, fédérateur de préados, machine commerciale ? Il accumule les préjugés. Mais dans la mesure où la musique n’est jamais à considérer que de manière ponctuelle, il est intéressant de regarder ce qui se cache en amont de Feu.

Son album marque véritablement un tournant dans sa musique ; tout d’abord car après avoir collaboré à différents groupes (1995, 5 Majeur, S-Crew), réalisé énormément de featurings, Nekfeu prend son envol individuel avec ce skeud. Mais aussi car un changement de style s’opère, comme si au travers des précédents EPs, il n’avait fait que des tests pour finalement donner pleine mesure à une musique plus pop-éléctro. Ce qui nous amène à répondre à notre dernière interrogation : non Nekfeu n’est pas un produit commercial. Il a juste compris le réel enjeu du rap désormais : ne pas laisser cette musique s’enfermer dans des castes et se replier sur elle-même, sans quoi elle signerait son arrêt de mort. La rap n’est pas une langue morte. Dès lors le tournant pop ammorcé sur l’album n’a qu’un seul but ; démocratiser le rap, le populariser. Le feat. avec Ed Sheeran n’est en ce sens tout sauf annodin.

Intéressons-nous maintenant au premier pan de la question, qui est plus vaste que ce qu’il paraît. Le rap de Nekfeu est bien souvent jugé trop lisse. Mais c’est oublier que ce dernier album n’est pas un condensé du style du membre d’1995. C’est surtout occulter que Nekfeu est un excellent kickeur, un fournisseur de punchlines qui claquent, et qui au regard de l’album actuel, ne paraissent pas venir de lui. Pour rappel, 2011 : « Sans disgrâce miss j’sais qu’tu kiffes quand t’as mal / Bite dans ta face et j’te quitte quand t’avales ». On a connu moins lisse. Aborder un rap plus sage est une totale volonté de sa part, avec un but bien défini : toucher un public le plus large possible. Pour totalement se rendre compte de ce glissement musical, prenons deux morceaux qui entrent en résonnance particulière : les deux versions  de Nique les clones.


Nique les clones – 2011

Pas forcément un des morceaux les plus connus du Nek-avant-Feu, ce freestyle de près de trois minutes offre néanmoins un parfait panel du ton rap-battle du MC parisien. Les punchlines sont abondantes, rythment à elles seules le kick. La langue est plus incisive, plus agressive, joue avec ses thèmes récurrents: les femmes, la drogue, le Paris des soirées. La conscience de l’egotrip est là aussi bien développée. On se trouve dans un rap très standardisé, qui répond parfaitement aux codes attendus. Mais ce qui faisait déjà de Nekfeu un rappeur à part, c’est sa maîtrise des sonorités. Le rap n’est pas une révolution du fond, des thématiques, ce n’est pas véritablement de quoi on parle qui importe. C’est le travail sur la langue qui donne au rap son cachet. N’en déplaise aux puristes. Le rap comme écriture ne trouve son amplitude que comme performance. La lecture des textes apporte très peu. Il faut y avoir le martèlement de la langue, oralement. Il y de la poésie dans le rap, mais le rap n’est pas poésie. Ce serait une réponse trop facile à la place du rap comme écriture.

Pour en revenir au morceau ci-dessus, même si les phrases-choc parsèment le beat, cela ne fait pas de Nekfeu un rappeur trash. Transparaît déjà une certaine sincérité, qui sera véritablement une caractéristique de son album. Il fait et faisait partie avec Lomepal, Areno Jazz, Georgio, Jazzy Bazz, Deen Burbigo et autres, de la nouvelle école parisienne qui ne cherche plus à choquer à tout prix. Mais qui se concentre sur la langue, son oralité et les jeux qu’elle permet.


Nique les clones, Part II – 2015

On abandonne le rap freestyle pour cette fois aborder le rap 2015 cuvée Nekfeu. Il n’est ici plus question d’empiler les punchlines, pour former un morceau qui claque, mais qui en définitive sonne un peu creux. Nekfeu s’acharne à développer sur tout le son une thématique. On essaie là d’approcher quelque peu le côté « fond » qui manquait avant. Mais là encore, je ne pense pas qu’il s’agisse du réel intêret de Nique les clones, Part II. Dès lors, le style se fait plus liquide, le flow de Nekfeu coule, n’accroche que très peu l’oreille. Plus de fluidité pour moins d’accrocs. C’est là une exigence du format album, mais aussi une preuve indéniable de maturité : alors que quelques années auparavant Nekfeu se sentait obligé d’en faire le plus possible pour marquer le public (dans une logique de rap-battle), il se tient là un peu en retrait du jeu de la surenchère, il est plus sobre et plus efficace. Il a compris que le texte était de la mouvance, quelque chose qui bougeait, se dérobait, et les jeux sonores sont des tentatives pour saisir, encercler le texte. Ils sont des balises. C’est aussi pourquoi il va vers plus de sobriété.

Ce qui m’a un peu dérangé lors de la première écoute de l’album, c’est que Nekfeu semblait se perdre dans un trop plein de styles, je voyais dans son hétéroclisme une sorte de faiblesse à s’affirmer, un manque d’identité musicale. Alors qu’en réalité c’était simplement le résultat du talent du Fenek : il maîtrise toutes sortes de flow, sait jouer avec le beat et la mélodie, et donc ne se prive pas de ne pas se cantonner à un seul registre. Et pour comprendre ceci, il serait pertinent de regarder les différentes étapes qu’a franchies Nekfeu ces dernières années.


Dans ta réssoi – 2011

C’est ce titre qui a véritablement fait connaître le groupe 1995 (qui présente ici ses deux membres emblématiques, Nekfeu et Alpha Wann). Morceau totalement egotrip, Nekfeu ne laisse planer aucun doute sur la tournure du freestyle : de la punchline à l’envi ! On retrouve là encore la violence initiale, autant dans le flow que dans les paroles. C’est un peu à mettre en parallèle avec En Sous-Marin, l’EP dropé gratuitement sur la Toile comme disent les jeunes ; même concept de rap-kiff/kick, présence de fulgurances, mais surtout ils se détachent de cette recherche de fluidité, de cohérence. Un certain amateurisme se dégage autant du freestyle que de l’EP. Mais Deen Burbigo avait raison de mentionner ça comme fondement de Nekfeu, c’est dans les imperfections et un certain dilettantisme que l’on peut aller chercher ce qui préfigurera le souffle de Nekfeu. Et là j’insiste, il est important de parler de souffle et non pas de style, car Nekfeu n’imprime pas un « made in Nekfeu » sur les beats, ils peut rapper de manières totalement différentes selon l’instrumentale.


L’Unique (Freestyle n°2) – 2011

Nous avons vu avant un aperçu de ce que Nekfeu a fait le plus dans sa carrière : les featurings. Mais si l’on veut saisir pleinement l’envers de Feu, il est prépondérant d’examiner un son où Nekfeu se trouve seul face au mic. Brute de coffre, sonorité du verbe à l’état pur, il arrive là à emmener le beat avec son flow, et non le contraire. Et s’il est si à l’aise dans ce format-vérité, c’est bien car il possède un phrasé. Il était important de voir, avec ce freestyle, que contrairement à la plupart des sons dansants de Feu, ce n’est pas l’instrumentale qui porte le MC parisien, mais bien lui qui crée le morceau, qui invente le rythme grâce aux sonorités.


Bonheur suicidé – 2013

Nous tenons là le véritable tournant narratif de Nekfeu. Il délaisse le beat & kick pour fluidifier son écriture, lui donner un ton incisif. Il arrive à densifier sa prose, à tenir un sujet du début à la fin avec un fil narratif cohérant. Et c’est aussi de là que vient sa maturité, il arrive aussi à réciter, et non plus seulement à faire de la rime.

Avec ce panorama musical, je pense que le phénomène Feu peut être désormais considéré plus froidement, avec recul, mais non moins de plaisir.

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