Alors que nous entrons de plein pied dans les mois de canicule, voici deux rappeurs qui contribuent à amener un vent de fraîcheur sur tout le continent. 2016 n’aura pas attendu ses derniers jours pour nous livrer deux belles surprises : les albums de Georgio (Héra, sorti en novembre) et Jazzy Bazz (P-Town, sorti en février). Pourtant on devrait plutôt parler de confirmation que de surprise tant les deux rappeurs s’affirment dans leur style respectif et montent en puissance. Petit retour sur ces deux ogives musicales.
© Elisa Parron Photography
Héra – Panenka Music, Georgio
“Héra, sa cigarette diffuse, et on part en fumée”
Héra vient de sortir en réédition ces jours, avec pas moins de neuf nouveaux titres, tous plus forts les uns que les autres, amenant une une dimension plus lente à l'album, qui berce à l'écoute. Mention spéciale au titre Paris - London et son refrain sussuré, qui fait office de compagnon parfait des soirées estivales en bord de plage.
Au fil de ses albums, le rappeur du Paris 18e a su égrainer son flow posé et ses paroles sincères. Très loin des ego-trips de la plupart de ce qui se fait actuellement en terme de rap, Georgio marque par son apparente fragilité, mais surtout par la dimension authentique de ses textes : il ne cherche pas à se cacher, il se livre complètement à son public, parle de sujets banals a priori mais universels (le rapport à la famille, une grand-mère négligée, la routine, la dépression, le métro…) et donc qui touchent tout le monde. Il ne cherche en aucun cas à se donner une image, à jouer avec ce qu’il est, il ne fait qu’une seule chose : preuve d’une grande sensibilité. Et c’est cette sensibilité qu’il veut partager. Alors forcément dans un monde où tout ce qui est clinquant est recherché, où règnent ego et paillettes, un artiste comme Georgio détonne énormément. Et c’est une vraie bouffée d’air frais. Son dernier album, Héra, ne marque pas à proprement parlé une rupture, mais se distingue de ses précédents par un son un peu plus pop, plus dansant. C’était déjà le cas avec le titre Héros de son album Bleu noir sorti fin 2015, où le rappeur se payait même le luxe de chanter. Si l’on compare avec le plus mélancolique de ses albums, Soleil d’hiver, on remarque une plus grande diversité dans les thèmes et dans les mélodies. Mais le rendu final garde sa puissance !
© Samir Bouadla
P-Town – Grande Ville Records, Jazzy Bazz
“J’suis tellement loin, j’suis nostalgique du futur”
Après quatre ans d’attente (son premier album solo date de 2012), le Jazz est de retour sur le devant de la scène. Son second opus est dans la continuité du premier, mais pousse plus loin encore le côté psychédélique, par exemple avec le titre éponyme P-Town. Sur fond de mélodies lancinantes old school, Jazzy Bazz nous dresse les contours de son Paris ; celui des travées vides du Parc des Princes après le plan Leproux (Ultra Parisien), celui meurtri par les attentats (Fluctuac Nec Mergitur), celui des virées nocturnes dans ses rues peuplées par le physio, des fans, des femmes, d’alcool ou encore celui aux allures d’un Gotham City noctambule (Joker ou P-Town). Le titre Le Roseau fait office de morceau liminaire, qui s’écoute comme explicatif de la technique de Jazzy Bazz et où il revient sur son absence. C’est aussi et surtout la piste la plus punchline de l’album. On connaissait le rappeur du 19e très habile dans le maniement agressif de la langue, dans l’ambiance battle (il a remporté la 5ème édition du Rap Contenders en 2012), et il le prouve encore aujourd’hui au travers de ce cru lyrical 2016. Dès le premier titre, le Jazz se place au-dessus de ce monde – comme un protecteur et un maître – avec un flow détendu mais ponctuellement menaçant. L’album se termine sur les mots "vos guerres, nos morts" et enfin "paix". La distanciation ("vos") aboutit à une inclusion, une globalité ("nos"). C’est ainsi que Jazzy Bazz se place en protecteur de sa ville, après s’être érigé lui-même en Maître suprême semblant planer au-dessus de tout et contempler ce monde de sa tour d’ivoire (de nombreuses références à Paris sont faites extratextuellement : les jeux sur 3.14 et pi, la lettre "P" de Paris prononcée en anglais, par exemple). Jazzy Bazz s’affirme indéniablement comme une référence et porte "tout l’espoir pour le rap hexagonal".